Ma visite avec Raiko Valladares et José Antonio Villa Sené.


Scènes de La Havane : partie 1

Par Anna Carnick

“Il dit que la Havane est sombre, détruite…mais il aime ça.” Nous roulons sur Fifth Avenue, une des routes principales de la Havane en écoutant la radio. Mon compagnon, le designer Luis Ramirèz traduit une chanson de Pablo Milanés pour moi. Bien que parfaits inconnus encore récemment, après avoir passé une semaine ensemble, nous sommes plus à l’aise pour parler dans la langue maternelle de l’autre. “Il est mort à la Havane” dit Luis d’un air pensif. “(Parce que) il adore la Havane.”

De grandes maisons dans des styles architecturaux variés se dressent de l’autre côté de la route à trois voies. Dans les années 1950, les familles les plus riches de la ville vivaient ici, dans le quartier du Miramar. Après la révolution, beaucoup de maisons ont été désertées ou laissées à l’abandon. Récemment, certaines d’entre elles ont été restaurées. En réponse aux nouvelles lois qui permettent à plus d’argent de circuler de l’extérieur vers Cuba, ainsi qu’à l’accès à la propriété privée et à l’entreprenariat. Alors que je commence juste à croire que je saisis l’endroit où nous sommes, Luis me montre une structure sur notre droite. Elle est massive et imposante, un vaisseau de l’espace qui interrompt bizarrement les rangées ordonnées du quartier résidentiel. “Là,” rit-il, “c’est l'ambassade soviétique. Beaucoup de pouvoir, non ?” Un moment plus tard, je réalise que nous passons à côté d’une aire de jeux pour enfants. Contrastes, petitesse, grandeur. Voilà en résumé ce que la Havane m’a montré durant les cinq derniers jours. Chaque fois que je crois comprendre quelque chose, une nouvelle information vient renforcer, une fois encore la complexité de cette ville, de ce pays. C’est beau et très souvent perturbant.

Alors que les relations entre l’Amérique et Cuba ont commencé à se réchauffer et que de nouvelles tendances ont semblé accorder plus d’attention à la petite île culturellement riche (géographiquement située à 140 km de la Floride mais tellement plus éloignée à d’autres niveaux), ma curiosité à propos du design à Cuba a grandi. J’ai donc décidé d’aller voir par moi-même. L’isolation de Cuba pendant des années d’embargo, un accès à internet extrêmement limité, et le fait que peu de gens aient eu assez d’argent pour le dépenser en dehors des nécessités font qu’il existe peu d’écrits sur le design cubain. De plus la communication entre l’île et l’extérieur est souvent difficile. Internet est souvent seulement disponible pour ceux qui travaillent dans certaines professions, ou pour ceux qui gagnent assez d’argent pour se permettre d’aller dans un des cafés internet ou un des centres d’affaires des hôtels. Il existe un intranet à Cuba. Mais il s’agit d’un réseau national et non mondial. L’expérience m’a démontré qu’il était difficile dans la réalité de trouver mes contacts dans le design et par la suite de récupérer le matériel. Heureusement grâce à Google et à une bonne dose de chance, j’ai pris contact avec trois remarquables individus basés à la Havane. Luis Ramírez, un designer d’intérieur et de meuble accompli et vice président de Caguayo (une fondation qui supporte les arts cubains), et le couple de designers et fondateurs de magazine Sandra Fernández et Yorlán Cabezas Padrón. Ils ont été ravi de m’accueillir dans leur ville et m’ont présenté à des personnes extraordinaires qui projettent la scène créative de Cuba plus loin.

Ce qui va suivre est une série d’épisodes qui proposent un portrait du paysage design de la Havane aujourd’hui. Alors qu’ils sont face à des obstacles parfois épineux comme des ressources financières et matérielles extrêmement limitées, des opportunités professionnelles restreintes ou opaques et plus encore, les individus que j’ai rencontrés partagent la même ténacité, une éthique du travail inépuisable et un sens de la communauté très fort. De plus, alors que les opportunités de travail s’améliorent avec les réalités socio-politiques en évolution, il y a l’optimisme prudent que le design va continuer de trouver du respect localement et globalement. J’ai été incroyablement inspiré et j’espère que vous le serez aussi.

 


 

Villa Sené and Valladares at TEDxHabana Image courtesy of the designers
Ce fut une année importante pour les designers émergents Raiko Valladares and José Antonio Villa Sené. Âgés d’une vingtaine d’années, ils se sont rencontrés alors qu’ils étudiaient au Havana’s Higher Institute of Industrial Design (ISDI) et ont lancé leur première collaboration le printemps dernier qui a reçu un accueil formidable. Le projet, une collection de trois chaises intitulées Vibra (Vibration en Anglais) faites en fils de nylon a débuté à la Fábrica de Arte Cubano, le nouvel espace populaire et multidisciplinaire dédié à l’art de la ville. Après l’exposition de la FAC, les organisateurs de TEDxHabana les ont invités à créer le lobby pour l’évènement de novembre, un compliment doublé d’une belle opportunité d’exposition. Alors qu’ils ont seulement produit quelques pièces de Vibra jusqu’à aujourd’hui, ils ont déjà assez de commandes pour délocaliser leur travail de tissage à des artisans de la communauté locale.

Assis dans leur studio (une petite pièce charmante d’une maison à deux étages du quartier Miramar) aux côtés de Raiko Valladares et de José Antonio  Villa Sené, les designers sont modestes mais visiblement excités par le succès qu’ils ont trouvé en relativement peu de temps. Il s’est passé une combinaison de chance et d’effort. En plus de leur travail de conception et de fabrication, ils ont fait un travail de promotion en ligne, lentement mais sûrement, une opportunité que beaucoup de designers cubains n’utilisent pas. Deux ordinateurs Mac sont posés sur leur bureau partagé et ils utilisent leurs ressources à leurs avantages pour améliorer leur image marketing, étudier la culture design, ou contacter des éditeurs comme Dezeen  pour montrer leur travail. De cette façon, ils ne sont pas si différents de la plupart des jeunes designers du monde qui débutent. Ils doivent tout faire par eux-même. Mais le combat constant contre le manque de matériel, de ressources et d’infrastructures est une différence majeure. Leur motivation pour rajeunir la culture design de leur pays et consolider leur culture l’est aussi.

D’après Raiko Valladares, “avant, il était courant d’importer et de copier le design et l’architecture d’autres pays. Mais il y a des grands designers et des grands architectes à Cuba qui font de grandes choses. Nous voulons que ce soit nos designers d’ici qui soient consommés par les cubains, pour arrêter d’en importer. J’adorerais être dans la capacité de posséder des pièces par d’autres designers Cubains.”Il continue “Il y a deux types de designer cubains. Il y a ceux qui quittent le pays pour aller ailleurs et font du design à l’étranger. Et il y a ceux qui restent. Nous avons décidé de rester, donc nous devons résoudre tous les problèmes qui peuvent arriver, en termes de matériel à disposition ou tout autre problème et nous devons rendre les produits attractifs pour qu’ils soient consommés ici à Cuba. C’est plus difficile d’arriver à faire les choses à Cuba et ça implique souvent beaucoup de sacrifices. Une fois qu’un projet est terminé cependant, “Tu le savoures plus. A Cuba le produit fini a une saveur particulière”.

José Antonio Villa Sené acquiesce et ajoute qu’ils sont sur le point de trouver plus d’opportunités de travail et de clients : “Il y a de plus en plus de personnes qui apprécient le design aujourd’hui. Beaucoup d’artistes viennent ici pour vivre et semblent être des clients potentiels. En même temps, il y a plus de Cubains qui voyagent à l’étranger, qui voient des créations et qui reviennent partager ce qu’ils ont vu, faire des comparaisons. Et maintenant c’est aussi possible d’acheter et de vendre des maisons à Cuba, ces endroits ont besoin de meubles. Il y a aussi plus de travail sur le design d'intérieur, plus de restaurants qui ouvrent et qui veulent des designs intéressants pas des chaises en plastique”. Il rit et ajoute, “Peut être que c’est une vieille réalité pour d’autres pays, mais c’est un nouveau phénomène pour nous à Cuba aujourd’hui.’”


Old Havana photo © Anna Carnick
A suivre, dans la partie 2 de notre voyage, une visite avec le designer de bijoux Mayelín Guevara, ici

 

 

 

 

 

 

 

 

  • Text by

    • Anna Carnick

      Anna Carnick

      Anna est la Rédactrice en Chef de Pamono. Ses textes ont figuré dans plusieurs publications d'art et de culture et elle a rédigé plus de 20 livres. Anna aime rendre hommage aux grands artistes et elle apprécie tout particulièrement les bons pique-niques.

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