A Grimani, Ambra Medda s’est entretenue avec l’artiste sur verre Ristue Mishima à propos de son exposition à la Biennale de Venise.


Verre et espace

Par Ambra Medda

Née à Kyoto et basée à Venise, Ritsue Mishima crée des objets en verre qui suggèrent le paradoxe. C’est dans la capitale mondiale du verre même, à Murano, que Ritsue Mishima produit ses créations en collaboration avec des experts. Les travaux de Ritsue Mishima sont transparents mais ont une dimension et une structure. Ils sont aussi extrêmement lumineux. Créés d’une manière spontanée, ils disparaissent dans leur environnement alors qu’ils reçoivent, réfléchissent et amplifient la lumière ambiante. Pour la 55ème Biennale de Venise, le Museum of Palazzo Grimani a invité Ristue Mishima à exposer sa première collection à travers le piano nobile de cet impressionant bâtiment centenaire.

Son installation intitulée Il Grimani comprend 100 objets uniques en verre, créés en rapport avec l’espace intérieur du palazzo.

Ambra Medda a discuté avec Ritsue Mishima de son dernier projet, de son processus de création et de sa façon d'envisager le présent.

Ambra Medda: Ritsue, j’ai déjà admiré ton travail de nombreuses fois à la galerie Pierre Marie Giraud à Bruxelles mais ton installation à la Biennale de Venise me transcende. Parles moi de ta relation avec Venise.

Ritsue Mishima in her Venice studio Photo © Francesco Barasciutti
Ritsue Mishima: Bien, j’ai vécu ici pendant 24 ans. C’est difficile de dire ce qui m’a attiré et pourquoi j’ai commencé à travailler avec du verre. Je suis née à Kyoto en 1972. Et je n’ai pas étudié l’art à l’université, je n’ai jamais vraiment aimé la structure ou qu’on me dise quoi faire. Je pense qu’on pourrait dire que je suis autodidacte dans le sens où ce sont mes amis qui m’ont aidé à acquérir certaines compétences. Dans ce sens, je suis mon instinct. Je ne suis pas venue à Venise pour devenir une artiste sur verre mais c'est la curiosité qui m'a amenée ici.

AM: C’est beau !

RM: Je me suis dit, “J’aimerais vraiment aller là-bas.”J’avais envie de le faire par hasard. L’intuition précède l’action. La vision vient après naturellement, non ?

AM: Oui, une volonté et un désir de suivre son instinct, c’est très important. Donc maintenant tu vis et tu travailles à Venise. Parles moi du processus créatif qu’il y a derrière ces verres extraordinaires.

RM: Alors, une chose qui m’est particulière, c’est que 100% de mes travaux sur verre sont faits ici à Venise, à Murano, en collaborant avec des experts en verre : Andrea Bilio et Giacomo Barbini. Je travaille toujours avec les mêmes personnes : un expert et trois ou quatre assistants et nous utilisons mon fourneau à Murano.

AM: Et bien sûr, parles moi de ta vision…

RM: Au début c’était comme un défi, j’ai dû être patiente. Mais maintenant c’est devenu une création de qualité, une harmonie et c’est très beau de travailler avec ce groupe de personnes. Je leur laisse de l’espace, je n’ai pas besoin de décider de tout et je leur demande toujours ce qu’ils aiment.

AM: Bien sûr. C’est comme une interprétation de tes pensées.

RM: Oui toujours. C’est eux qui font. Je ne sais pas comment souffler du verre donc je les laisse faire. Je leur demande : “Ok, par quoi on va commencer en premier ?» parce que l’expert connaît très bien les propriétés du verre et comment obtenir les meilleurs résultats.

AM: C’est une réelle collaboration.

RM: Oui, exactement. Parce que c’est bien comme ça.

AM: D’où te viens cette idée de l’exposition In Grimani à Venise ?

RM: En fait chacun de mes projets aboutissent après des processus qui sont différents. Pour In Grimani, ça a commencé parce que le directeur du Museum of Palazzo Grimani, Giulio Manieri Elia, était intéressée par mon travail et m’a invitée. Je suis très sensible à l’espace donc j’ai visité le Palazzo de nombreuses fois avant que mon inspiration et ma vision viennent.

AM: Donc le projet est né d’un dialogue avec l’espace ?

RM: En fait, mon verre est toujours transparent, je ne change jamais la couleur… Mais oui, mon but est toujours de communiquer avec l’espace. L’idée de faire une exposition à Venise m’est venue il y a deux ou trois ans. Je suis ici depuis si longtemps mais je n’y avais jamais présenté mon travail. Mes expositions se font toujours à Bruxelles, à New-York ou à Amsterdam mais jamais ici, où j’habite. Et j’ai pensé : “Quel dommage. Je crée tout ici mais mon équipe de Murano n’a jamais vu une exposition”. Ils voient les objets mais jamais dans une installation.

AM: Vraiment ?

Ritsue Mishima and the team Photo © Francesco Barasciutti
RM: C’est vrai. Ils suent et ils se salissent pendant le travail, tu sais ? Parfois le verre se brise dans leurs mains, parfois ils se brûlent. En collaborant avec moi ils prennent des risques.

Mais ils ne voient jamais le produit final. Donc l’idée m’est venue il y a quelques années, elle était en moi. Elle s’est développée parce que je voulais leur montrer le produit fini de ce travail. J’y ai pensé pendant un moment et on peut dire à la fin que c’était une coïncidence. Il y a eu un meeting avec le directeur du Palazzo Museum et il m’a demandé de collaborer.

AM: Pas mal. Et d’où t’es venu le titre « In Grimani» ?

RM: Je l’ai inventé et le directeur a vraiment aimé. Quand je lui ai dit, il m’a prise dans ses bras tellement il le trouvait bien. Après avoir visité ce bel espace si souvent (le Palazzo date des années 1600), j’ai réalisé que le protagoniste ce n’était pas moi. C’était le Palazzo, c’était l’espace.

AM: Comment était le dialogue avec l’espace ?

RM: Ce que j’ai ressenti c’était : c’est un bel espace mais c’est aussi un espace difficile. Quand le directeur m’a demandé de faire cette exposition je n’étais pas particulièrement heureuse, parce que l’espace était… trop beau. Je me suis demandée :“ai-je besoin de faire quelque chose sur la beauté alors qu’elle est déjà là ?”

AM: Oui, c’est déjà très beau.

RM: Certains Vénitiens disent que c’est l’un des plus beaux de Venise. C’est intéressant parce qu’il n’est pas dans le style traditionnel Vénitien. C’est un palazzo exotique car la famille Grimani a introduit le style Roman. Et tu sais il fait 500 mètres carrés…

AM: Wow!

RM: Donc je l’ai visité et visité, et visité. Je ne sais pas combien de fois. Et l’espace m’a parlé, tu comprends ? Il a communiqué… Je suis un peu Japonaise, peut-être en le disant comme ça, mais j’ai été très sensible à l’espace. Je n’ai pas parlé à des fantômes mais doucement, tout doucement, un dialogue s’est développé avec chaque pièce, et les images sont venues.

AM: Donc ces pièces sont vraiment inspirées par l’espace. Combien en as-tu fait pour l’exposition Il Grimani ?

RM: Au total, plus ou moins 100...

AM: 100, wow! Félicitations, bon travail Ritsue, félicitations.

RM: Tu sais, quand j’ai visité le lieu, je me suis sentie un peu triste après-coup. Triste pour l’espace. Car je sentais que cette beauté datant de plusieurs années n’existait que dans le passé, comme au Metropolitan Museum of Art. Elle était figée dans le temps, dans une réalité différente et je savais que je voulais la transporter ici et maintenant, en 2013.

AM: C’est très beau Ritsue… Je suis si heureuse d’avoir découvert ton travail grâce à Pierre-Marie Giraud. Comment as-tu commencé à travailler avec lui ?

RM: C’était il y a si longtemps que je ne me rappelle pas de l’histoire en entier… Il est venu pour visiter mon atelier, parce qu’il voulait collaborer avec moi et il m’a convaincu car il aimait vraiment mon travail. Il est si jeune, mais très professionnel. Je le trouve très bien préparé, très poli, un vrai professionnel.

AM: Oui, exactement et il a une très belle sensibilité. J’ai beaucoup de respect pour lui.

RM: Il s’y connaît très bien. Il réfléchit beaucoup à la vision de l’artiste.

AM: Oui, et il entre aussi vraiment en contact avec les matériaux. J’ai remarqué cela quand je suis allée à l’une de ses expositions. Il vous parle d’une pièce et c’est comme s’il lui donnait vie.

RM: Oui, il est enthousiaste. Il a beaucoup de respect pour l’artiste et pour l’objet. C’est pour cela que j’aime bien collaborer avec lui. Il vient me voir chaque année au Japon et il visite mon atelier. J’apprécie qu’il vienne jusque-là pour parler, face à face.

AM: Est-ce que tu passes beaucoup de temps au Japon ?

RM: Pendant environ 7 ans, j’ai fait des allers-retours entre le Japon et Venise. Je vais rendre visite à ma famille, et je suis aussi tombée sous le charme de Kyoto. J’y ai acheté une maison vieille de 70 ans avec un jardin japonais et je suis en train de la rénover. On pourrait appeler ça un rêve. Ce n’est pas très grand, je suis ne pas riche mais j’ai envie de voir comment ça sera quand ce sera fini.

AM: C’est magnifique Ritsue. C’est donc ton rêve dans le futur ?

RM: Mon rêve pour le futur ? Et bien, je pense que mon rêve c’est maintenant. Ce n’est pas dans le futur, c’est maintenant. Je veux être consciente du moment présent. Tous les jours je trouve un coin pour m’asseoir,même cinq minutes, pour trouver la reconnaissance et pour profiter du moment. C’est la plus belle chose du monde.


***

Il Grimani :  Ritsue Mishima Glass Works est organisée par Giulio Manieri Elia et Mishima Studio et présentée au Museum of the Palazzo Grimani à Venice. L’exposition intervient avec le soutien de la Japan Foundation, comme un événement collatéral de la 55ème International Art Exhibition - la Biennale di Venezia. L'exposition a duré du 30 Mai au 29 septembre 2013.

 

Cette conversation a été traduite de l’Italien. Introduction par Wava Carpenter.

  • Interview by

    • Ambra Medda

      Ambra Medda

      Ambra is a passionate, seasoned curator, who facilitates great design through innovative collaborations between designers, artists, brands, and institutions. Among many other things.