On ne se lasse pas de Chen Chen & Kai Williams.
Les bons gars
-
© Judith Stenneken pour L'AB/Pamono
-
© Judith Stenneken pour L'AB/Pamono
-
© Judith Stenneken pour L'AB/Pamono
-
© Judith Stenneken pour L'AB/Pamono
-
© Judith Stenneken pour L'AB/Pamono
-
© Judith Stenneken pour L'AB/Pamono
-
© Judith Stenneken pour L'AB/Pamono
-
© Judith Stenneken pour L'AB/Pamono
-
Chen Chen et Kai Williams dans leur studio à Brooklyn
© Judith Stenneken pour L'AB/Pamono
-
© Judith Stenneken pour L'AB/Pamono
-
© Judith Stenneken pour L'AB/Pamono
-
© Judith Stenneken pour L'AB/Pamono
-
© Judith Stenneken pour L'AB/Pamono
-
© Judith Stenneken pour L'AB/Pamono
-
Photo © Judith Stenneken for L'AB/Pamono
-
Photo © Judith Stenneken for L'AB/Pamono
-
Photo © Judith Stenneken for L'AB/Pamono
-
© Judith Stenneken pour L'AB/Pamono
Sans aucun doute, Chen Chen et Kai Williams sont dans une bonne dynamique. Leur studio situé dans un entrepôt à Greenpoint, Brooklyn, est animé en permanence par leurs projets expérimentaux. Il semblerait que quelqu’un ait toujours les mains sales, en train de mouler, de souder, de fondre, de planter, d’égoutter ou de scier. Un jour, ils sont en train de compresser les restes trouvés dans le studio avec du bois vierge pour façonner des crochets à jambon aux couleurs de l’arc-en-ciel. Le lendemain, ils mélangent des avocats, des melons et d’autres fruits pour créer des pots de fleurs en ciment, ou transforment des pièces récupérées de comptoir en granits en bracelets audacieux et bizarres. Leur énergie ludique s’exprime principalement dans leurs créations qui déplacent les objets du quotidien loin de leur usage traditionnel. Au milieu de toute cette énergie vibrante et fantaisiste, la réflexion et la curiosité sont au cœur de l’approche de Chen Chen et Kai Williams.
Chen et Williams se sont rencontrés au Pratt Institute et ont commencé à collaborer après leurs études. Chen Chen est né en Chine et s’est installé aux Etats-Unis à l’âge de six ans. A l’université, il passe un semestre à la Gerrit Rietveld Academie d’Amsterdam, une expérience qui lui permet de cimenter son approche expérimentale. Après ses études, il travaille pour Moss.
Anna Carnick: Vous vous êtes rencontrés alors que vous étiez tous les deux étudiants à Pratt. Qu’est ce qui vous a poussé à aller l’un vers l’autre ?
Chen Chen: Mon premier souvenir de Kai, c’est en cours d’histoire du design industriel. Nous avions tous deux choisi ce cours, mais nous n’avons pas vraiment interagi jusqu’à la fin de nos études. J’avais un petit studio pas loin, et je venais dans le studio de Kai (notre studio actuel) pour travailler sur de plus grands projets. Kai et moi sommes très différents, mais nous sommes tous les deux fiables. Nos créations étaient très différentes avant que nous nous associons, mais nous étions tous deux passionnés par les matériaux et processus.
Kai Williams: Nous sommes vraiment devenus amis après nos études. Je pense que Chen m’a toujours impressionné car il semble savoir qui il est et quelles sont ses responsabilités. C’est peut être cette base solide qui lui permet d’être si libre avec ses créations. La première conversation design que j’ai eue avec lui était sur un projet factice qu’il avait nommé “Green Design Blog”, qui était en fait une collection de designs toxiques pour parodier un mouvement écologique un peu trop ambitieux.
AC: Voilà cinq ans que vous avez été diplômés de Pratt et que vous avez établi votre studio en commun. Qu’est ce qui vous a fait vous associer en 2011 ?
KW: Ce qui est bien quand on est étudiant à New york, c’est que tout le monde reste à New York et qu’on a un large réseau. Le studio de Chen était près du mien et cette proximité nous a poussés à collaborer. Mon partenaire de l’époque m’avait laissé tomber et j’ai réalisé que tenir une entreprise de CNC était difficile. Chen travaillait chez Moss depuis quelques années et avait besoin de changement. Notre premier projet était une ébauche des chaises emboîtées que nous lançons aujourd’hui sur L’ArcoBaleno. Le projet avait été mis de côté parce qu'il était problématique à réaliser. En effet, le bois exotique utilisé est extrêmement dur. La première chaise a été un terrible échec. Mais c'était un exercice de travail ensemble, auquel nous donnons une autre chance.
AC: Vos expériences avant le studio collaboratif Chen & Kai sont vraiment diverses, des études à la Gerrit Rietveld Academie, en passant par le lancement d’une entreprise de fabrication CNC jusqu’au travail avec d’autres artistes et designers. Comment considérez-vous que le mélange de ces différentes expériences influence votre collaboration actuelle ?
KW: Je pense que tout travail vous pousse à entrer en contact avec de nouvelles personnes, de nouveaux matériaux, de nouvelles méthodes de travail. Un nouveau travail vous pousse à vous dépasser, ce qui est bien.
Quand j’ai travaillé pour Tom Sachs, j’ai appris que tout concerne le contexte. Ce concept paraît simple, mais il est facile de l’oublier. J’ai également appris que les erreurs peuvent être la partie la plus intéressante. Elles peuvent détruire votre travail s’il était trop parfait. Cette expérience avec l’entreprise de CNC m’a fait aimer les petites entreprises. La machine que j’avais était la plus large de Brooklyn et pesait 12 247 kg. J’ai appris à négocier avec les boutiques, à gérer les problèmes techniques et à ne plus être effrayé par les grosses machines.
CC: Quand j’étais à la Gerrit Rietveld Academie, il y a eu ce projet où nous avons pris un objet organique, dans mon cas un petit pois, et sans ajouter un matériel, nous l’avons transformé en un objet d'une autre forme qui avait l’air aussi “naturel” que l’original. Vous devez écouter le matériau car il n’est pas inerte et il aspire à être façonné de manière spécifique. Ces principes portent toutes nos créations.
AC: Votre travail est aussi vraiment varié : on passe de pièces ludiques comme Cold Cuts Coasters, à la série plutôt crue Shank, en passant par vos nouveaux bancs et chaises pleins de grâce et de beauté. Pour vous, le lien commun dans votre travail est-il la thématique ? Ou la technique ?
KW: Nous aimons travailler avec divers matériaux et pour divers publics. Malheureusement, avoir une large gamme d’outils est problématique et inefficace. Dans notre atelier, nous avons des outils pour travailler le bois, le métal, la brique et la résine. Et aucun ne s’accorde. Les outils pour le métal sont émoussés par la poussière de bois. L’outil pour la pierre répand de l’eau partout. La résine hait l’eau. Je n’aime pas de la même manière tous nos projets, mais j’aime leurs aspects et j’aime la liberté d’aller dans n’importe quelle direction. Ce serait une torture d’avoir une idée et ne pas être capable de la réaliser parce que nous avons peur de ne pas avoir un certain style. Les thèmes forts de notre travail, ce sont la satisfaction dans le processus, des appellations spécifiques de contrôle et l'amour des matériaux.
CC: Même si notre travail peut sembler discontinu, nous avons toujours la philosophie d’autoriser l’objet à être lui-même. Comme l’a écrit Bruno Munari dans Design as Art, “il n’existe pas de style personnel dans le travail d’un designer. Tandis qu’un travail est à portée de main, qu’il s’agisse d’une lampe, d’un poste de radio, d’un gadget électronique ou d’un objet expérimental, la seule préoccupation du designer est de parvenir à la solution suggérée par l’objet lui-même et son usage destiné. Des choses différentes auront des formes différentes, et seront déterminées par leurs différents usages, les différents matériaux et techniques employés.”
AC: Chaque fois que je visite votre studio, c’est un réel plaisir. Il y a toujours quelqu’un en train de se salir les mains, de mixer, de tordre, de couler et bien plus. Dans votre approche, l’idée de se “salir les mains” est-elle cruciale ?
KW: Le processus design qu’on enseigne à tout le monde, c’est de faire des croquis sur du papier ou de faire une simulation sur ordinateur avant de vraiment réaliser l’objet. Pour nous, simplement fabriquer l’objet est plus rapide et plus pertinent. Penser avec vos mains vous permet de réagir à ce qui est en face de vous au lieu de prédire ce qui va arriver. Plus vous vous rapprochez de l'achèvement d’un objet, plus vous en apprenez à son sujet.
AC: Comment décririez-vous votre méthode de travail ? Est-ce que les tâches sont divisées de la même manière à chaque fois ?
KW: Généralement, on commence avec une idée ou un matériau auquel l’un de nous a pensé, puis on y réfléchit ensemble. Rien n’est éliminé durant ce processus, nous évoquons de nombreuses idées. Avoir des idées ensemble nous aide à penser plus vite et nous évite de rester coincés sur quelque chose. Nous sommes très différents, donc quand nous nous accordons sur une idée, c’est qu’il y a quelque chose qui se passe. De manière naturelle, un de nous prend le contrôle du projet et poursuit le travail, tandis que l’autre sera amené à formuler des critiques et à proposer des idées alternatives car il aura une certaine distance quant au projet.
AC: Est-ce que cette manière de procéder a changé au fil des années, étant donné que vous collaborez de plus en plus ?
CC: Je pense que nous l’avons simplifié. Nous sommes également plus intelligents quant aux choses que nous décidons d’accomplir. Ce qui a surtout changé, c’est que nous sommes plus demandés maintenant.
AC: Qu’est ce qui vous inspire ?
KW: Il y a tellement de choses dont on peut s’inspirer. Fabriquer. Les Amis. Et chaque fois que nous choisissons une pierre chez SMC Stone, leurs étranges histoires nous viennent en tête comme quand cette pierre était une boîte à lettres Mickey Mouse ou un caisson de téléphone. J’ai reçu un catalogue pour la démolition d’un magasin de meubles, il y avait tellement de choses étranges. Wikipedia aussi. Saviez-vous par exemple que la peinture noire du Modèle T était faite à partir d’asphalte ?
CC: Willet’s Point est un endroit très inspirant. Dans Gatsby Le Magnifique, la vallée des cendres est inspirée par Willet’s Point. C’est un quartier dans l’ombre de Citi Field, qui ressemble à un pays du Tiers Monde. C’est plein de mécaniciens automobiles et il y a des garagistes qui réparent votre voiture en quelques heures pour un prix dérisoire. Le quartier n’est pas relié au système d’égouts, donc après la pluie des flaques géantes recouvrent les routes. C’est dans ce genre d’endroit que l’ingéniosité humaine se développe.
AC: Où est-ce que vous imaginez Chen Chen & Kai Williams dans un an ? Dans cinq ans ?
CC: Chaque année, nous modifions notre manière de travailler, physiquement et d’un point de vue organisationnel et nous la reconstruisons. En janvier, nous changeons de studio, et ce ne sera pas la dernière fois : ça garde les choses fraîches. La ligne Stone Fruits nous a permis de nous développer et d’entrer dans un nouveau jeu ! Cette ligne de produits est très demandée, nous devons donc élargir la production. En même temps, nous allons nous concentrer sur de plus grands meubles.
AC: Quels sont vos projets ?
KW: Nous lançons un nouveau site dans quelques semaines. Et Design Miami approche à grands pas. Nous avons fait notre première collaboration avec Tai Ping Carpets, et c’est la première fois que nous nous sommes autant investis dans le processus de fabrication. C’est un sentiment étrange, mais je pense que tout va bien se passer.
-
Text & Interview by
-
Anna Carnick
Anna est la Rédactrice en Chef de Pamono. Ses textes ont figuré dans plusieurs publications d'art et de culture et elle a rédigé plus de 20 livres. Anna aime rendre hommage aux grands artistes et elle apprécie tout particulièrement les bons pique-niques.
-
-
Images by
-
Judith Stenneken
Née en Allemagne, basée à NYC, Judith est une artiste média conceptuelle.
-