L’histoire de la Table Nara par Shiro Kuramata
Ce qu’il reste de nos souvenirs
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Nara table for Memphis, 1983
Image courtesy of Phaidon Press
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<em>© Botterweg Auctions Amsterdam</em>
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Laputa double bed, 1991
Image courtesy of Phaidon Press
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Miss Blanche chair, 1988
Image courtesy of Phaidon Press
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Shiro Kuramata
Image courtesy of Phaidon Press
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Kyoto table for Memphis, 1983
<em>© Mitsumasa Fujitsuka; courtesy of Phaidon Press</em>
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Issey Miyake store
<em>© Mikio Sekita; courtesy of Phaidon Press</em>
Ce qui nous a motivé à créer ce site, ce sont aussi les histoires derrière nos objets favoris. A l’instar des artistes et des gens, les objets ont une histoire, qui dépend du contexte culturel, économique et social dans lesquels ils ont vu le jour. Rien de mieux que raconter l’histoire d’un objet pour en apprécier la vraie valeur.
Si l’histoire de la table Nara par Shiro Kuramata est une de mes préférées, c’est parce qu’elle a participé aux révolutions culturelles des années 1980, mais aussi parce que son créateur était un électron libre, loin de toutes communautés ou groupes. En toute simplicité, Nara symbolise la sensibilité post-moderne tout en la transcendant. C’est pourquoi il est si difficile de l’associer à une ère ou à un mouvement.
Cette table est fabriquée dans un matériau inventé par Shiro Kuramata lui-même : le Star Piece, un genre particulier de terrazzo. Contrairement au terrazzo marbré, Star Piece se compose d’éclats de verre, incrustés dans un ciment synthétique puis polis jusqu’à être doux comme de la soie. Si on ne sait pas très bien quel a été le processus de cette invention, dans un article publié dans le magazine Shotenkenchiku en mai 1983, Shiro Kuramata explique que l’idée lui est venue en 1982, alors qu’il était en train d’installer des sols en terrazzo dans les intérieurs qu’il avait conçu pour le bâtiment tokyoïte Roppongi Axis. A ce moment, il expérimentait également le verre dans le cadre d’un autre projet, qui avait laissé beaucoup de débris. Soudain, il a pensé à combiner deux matériaux, puis a rempli un camion d’éclats de verre, pour les livrer à des amis fabricants capables de faire de son rêve une réalité.
En 1983, séduit par sa propre invention, Shiro Kuramata conçoit du mobilier et des intérieurs principalement faits de terrazzo. Il est allé jusqu’à organiser une exposition dédiée à ce matériau à la Design Gallery 1953 de Tokyo. Il a consacré un espace entier au matériau, a traité les sols, les murs et le mobilier, de façon à ce que leur tridimensionnalité soit éclipsée par leur brillance. Rapidement, ce matériau Shiro Kuramata a une fois appelé “les débris de nos souvenirs” s’est transformé en un motif graphique appliqué aux surfaces d’autres produits faits d’autres matériaux. C’est devenu sa marque de fabrique, sa signature.
C’est en 1983 que Shiro Kuramata présente Star Piece au monde occidental, avec une collection de tables (Nara, Tokyo et Kyoto) produite pour les pionniers du postmodernisme Memphis Design Group. Déjà légendaire à l’époque, Ettore Sottsass, et un groupe de designers ont créé le projet Memphis dans les années 1980 à Milan. Ils le voyaient comme un antidote aux designs modernistes, selon eux insipides, peu inventifs et passés de mode. Dans les années 1970, l’Italie rassemblait des créatifs rejettant le fonctionnalisme, du dogme Bauhaus, au profit d’un design plus expressif, animé, avec l’humain au centre. Bien que Memphis ne fût pas le premier à se révolter contre le modernisme, le projet a touché un large public et a eu bien plus de succès que ses prédécesseurs. C’était en partie dû à Ettore Sottsass, qui a invité plusieurs designers internationaux à travailler avec Memphis, notamment Shiro Kuramata.
Durant les premières années du postmodernisme, les designers japonais ont créé une sorte de secte dans l’Occident. L’œuvre de Shiro Kuramata en particulier, résonnait avec l’élite européenne du design, fascinée par leur utilisation de matériaux industriels et mondains et leur manière de détourner les formes minimalistes. Il a gagné sa réputation en créant des objets paradoxaux, rationnels, mystérieux, réservés et amusants. Dès le début, Ettore Sottsass, a vu dans avec l’œuvre de Shiro Kuramata ce que pouvait être l’avenir du design et l’a recruté dans le projet Memphis.
Shiro Kuramata et Ettore Sottsass s’admiraient et s’inspiraient mutuellement. L’œuvre de chacun est importante, mais chacune a su se distinguer merveilleusement. Durant les années 1980, l’œuvre de Shiro Kuramata rappelait beaucoup les principes de Memphis, avec des matériaux nouveaux et synthétiques, mais rappelait aussi leur fascination pour les effets décoratifs colorés et leur affinité pour les références à l’histoire du design. Bien que l’œuvre de Shiro Kuramata se rapproche du modernisme, elle n’en partage pas le cynisme, ou la volonté constante de protestation. Quand d’autres designers Memphis demandent votre attention, Shiro Kuramata attend simplement que vous lui donniez.
Au lieu d’essayer de détruire les principes rigides du modernisme, Shiro Kuramata a su trouver la beauté dans l’imperfection et le désordre. Il a cherché de quoi rénover et élever la vie quotidienne. Récemment, j’ai discuté avec Johanna Grawunder, qui a travaillé avec Ettore Sottsass durant l’époque Memphis, pour lui demander son avis sur Shiro Kuramata. Voici sa réponse : “je me souviens à quel point Ettore adorait Shiro. Il se retrouvait dans son œuvre : très large, léger et transparent. Ettore était toujours très gentil avec Shiro, et réciproquement.” Ces mots m’ont donné une sacrée leçon de subtilité.
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Text by
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Wava Carpenter
Après avoir étudié l'Histoire du Design, Wava a porté plusieurs chapeaux pour soutenir la culture du design: professeur d'études du design, organisatrice d'expositions, organisatrice de débats, rédactrice d'articles. Tout cela a façonné son travail en tant que Editrice en Chef chez Pamono.
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