Comment le designer suisse-américain Philippe Cramer s’est forgé une place à part dans le monde du design de luxe


Une étonnante stabilité

L’esthétique des designs de Philippe Cramer est nette et sa production semble immaculée ; celle-ci vise la qualité durable des objets traditionnels plutôt que des pièces clinquantes du moment. Rien ne semble précipité dans son travail. Même ses expérimentations avec de nouveaux matériaux et formes sont toujours tempérées par la maturité de sa pratique. 

« Je n’essaye pas de suivre les tendances du moment, » nous dit Cramer. « Je travaille en suivant mon instinct, en restant le plus fidèle possible à mes émotions et à mon for intérieur. » Bien que ces paroles puissent sembler banales, elles reflètent en réalité la détermination du designer à conserver son autonomie créative. Et  l’on peut dire que cette stratégie a payé. Dans un milieu qui célèbre les stars d’un jour plutôt que ceux qui travaillent pour durer, ce talent suisse-américain s’est forgé une place à part dans le monde du design de luxe.

En comparaison avec le raffinement extrême et les finitions parfaites de son travail, Cramer s’avère être un sacré anti-conformiste. Il évite les salons de design commerciaux qui tendent à oublier les nuances et à porter aux nues les créations d'allure spectaculaire ; il dit ne pas être allé à Salone del Mobile, par exemple, pendant un certain temps. « La liberté de pensée est difficile quand vous êtes bombardé d'images magnifiques de produits parfaitement mis en scène dans un décor d’intérieur, » explique t-il. Il ne croit pas aux tendances parce que cela tend à causer une influence trop grande qui fait que « l’on ne soit plus en phase avec nos instincts. »

En effet, l’approche de Cramer a plus à voir avec les arts visuels qu'avec la conception de produits. Ses idées commencent comme de petits dessins, qu’il développe ensuite en esquisses pour la création de nouvelles pièces qui sont généralement dotées d’un fort impact visuel et produites pour le marché des collectionneurs. « Je laisse ma main être le guide, » explique Cramer. En 2010, le Musée d'art et d'histoire de Genève lui offre l’opportunité unique de concevoir des pièces pour le Salon de Cartigny, la prestigieuse salle du musée consacrée aux arts appliqués du 18ème et 19ème siècles. Il en résulte L’Ornement Jamais, une exposition conçue par Cramer composée de mobilier en bois blanchi avec des accents dorés qui réinterprètent les designs archétypiques de l'époque, d’une manière particulièrement sophistiquée et contemporaine.

L'aspect très personnel de sa pratique le conduit vers des propositions poétiques qui semblent imprégnées de son essence même, ses origines. Dans Golden Landscapes (2012), une tapisserie artisanale unique, résonnent des références à sa patrie suisse, restituées dans un détail amoureusement lumineux. De même, la palette blanchie de cendres et de feuilles d'or du Cabinet Rorschach (2012) brille comme le reflet de la lumière du soleil citronnée d'hiver sur un sommet de montagne enneigée. Pour Cramer, l'utilisation de surfaces réfléchissantes - la façon dont ses pièces dansent avec la lumière réfractée - est un choix conscient « afin de créer la vision d'un environnement positif et joyeux. » Il définit son travail comme un « antidote design » : il espère qu’il contribue à atténuer les tensions quotidiennes de la vie contemporaine pour ses utilisateurs.

L'exposition L’Ornament Jamais au Salon de Cartigny, Musée d'art et d'histoire de Genève Photo © Cramer + Cramer
Alors que Cramer s’est forgé son propre parcours, toujours en marge du courant dominant, il a obtenu un flux constant de commandes de la part de marques de design aux héritages les plus prestigieux. Cramer mentionne sa récente collaboration avec le groupe Hermès pour le label Petit H, une division expérimentale sous la direction de Pascale Mussard qui charge des designers indépendants de recycler les matériaux mis au rebut. Cramer conçoit des accessoires de maison, des meubles et des bijoux pour la collection et décrit le projet comme un alliage entre le design et l'artisanat qui utilise « des matériaux spectaculaires qui seraient autrement destinés à être jetés à la poubelle. » « C'est époustouflant, » ajoute-t-il. Cramer prépare également une exposition pour ARTGenève, où il présentera son travail le plus récent pour la première fois dans un contexte artistique. Cramer espère que « touts les salons d'art intégreront bientôt le design comme partie intégrante de leur programme, pour prouver que la création est une et ne doit pas être segmentée. » Nous suivrons cela de très près et sommes impatients de voir dans quelles contrées la lueur durable de son inspiration le mènera.

  • Traduit par

    • Audrey Kadjar

      Audrey Kadjar

      Née aux Etats-Unis dans une famille française, Audrey a grandi dans plusieurs pays. Avant de rejoindre Pamono, elle a étudié l'histoire de l'art à Londres et a travaillé dans le secteur culturel. Quand elle n'est pas occupée à rédiger des profiles de designers, elle écrit pour des magazines culturels, travaille sur son zine experimental ou sur ses projets d'art et de photographie.

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