On s’est procuré toutes les infos sur la désintox de luxe du vintage.


La Restauration en Six Leçons

Par Gretta Louw

Comme tout design addict qui se respecte, je rêve de dénicher des pièces oubliées, un peu magiques, au fond d’un grenier de banlieue, derrière des boîtes poussiéreuses. Tel le chevalier à l’armure étincelante, je fonce et je délivre le diamant brut, lui redonne sa gloire des premiers jours, pour lui faire une place dans ma maison si bien décorée. Tout ça pour pouvoir rire avec mes amis autour d’un cocktail, confortablement installée dans mon fauteuil Maison Jansen tout neuf, éclairé par mon chandelier Paavo Tynell : deux trésors dénichés dans une vente aux enchères locales grâce à mon œil de lynx. Quelle manière romantique de voir les choses! Peut-on dire que des trouvailles et restaurations si hasardeuses sont réelles, ou est-ce que ces chaudrons d’or sont aussi véritables que les leprechauns qui les ont mis au pied de l’arc-en-ciel? Notre équipe mène l’enquête.

Nous avons d’abord pris contact avec quelques galeries et vendeurs à l’expérience et au réseau intéressants. Malheureusement, beaucoup ont refusé tout commentaire. Nous sommes conscients que la restauration est aujourd’hui soumise à une extrême confidentialité, et que ceux qui la pratiquent protègent jalousement leurs connexions artisanales et leurs secrets commerciaux. Leçon n°1 : approcher les experts en douceur, car les contacts et les conseils dans ce domaine sont des biens précieux.

Ainsi, c’est avec gratitude que nous avons écouté les conseils de Dorte Slot, directrice de galerie du Dansk Mobelkunst Gallery de Copenhague. Selon elle, la clef d’une restauration réussie c’est de “toujours respecter la condition originale de la pièce”. Elle poursuit “si une pièce est tellement abîmée que ses parties importantes doivent être remplacées, l’originalité de la pièce est remise en question”. Quand est-ce qu’il vaut mieux abandonner le rêve? Selon Slot, “c’est un équilibre entre la valeur historique et l’utilité actuelle”. “Les prototypes et les exemplaires rares, du fait de leur remarquable provenance historique, sont certainement ceux à manier avec le plus de soin”.  

Le principal est d’éviter de cacher la restauration en se souvenant que celle-ci n’a qu’un but, celui de maintenir la fonctionnalité de l’objet

Leçon n°2 : parfois, il vaut mieux accepter l’âge et l’usure d’une pièce plutôt que de risquer de compromettre l’authenticité de la pièce, ou de passer trop de temps à la restaurer. Si toutefois vous décidez de vous lancer dans la restauration d’une pièce, quels sont les aspects à prendre en compte en priorité? Elisabetta Trioschi de la Compendio Gallery à Rome nous fait sagement remarquer que “le principal est d’éviter de cacher la restauration en se souvenant que celle-ci n’a qu’un but, celui de maintenir la fonctionnalité de l’objet”.

Malte Wrobel, designer industriel et restaurateur à Frank Landau à Francfort résume la restauration comme suit : “c’est une question de temps et d’argent… Si vous avez beaucoup des deux, tout est possible. En revanche, si vous avez des délais et un budget, tout dépendra de vos compétences et de votre expérience”. Concernant le compromis entre l’aspect unique et d’époque d’un objet et le désir de le rafraîchir, Wrobel rajoute “Une belle patine est une des principales raisons qui fait que l’on ne restaure pas une pièce. Il est toujours bon de la garder, et de laisser les rayures et les fissures où elles sont”. Ces petites imperfections qui ont évolué avec les décennies, font de la pièce une pièce unique, sui generis. Elles sont réellement irremplaçables en ce qu’elles représentent un témoignage de l’histoire, de l’authenticité et de la longévité de la pièce.

Ike Udechuku de la galerie belge Ampersand House nous raconte une belle histoire, qui illustre bien la frontière entre conservation et innovation. Il parle de l’amour du détail à l’occasion de la transformation d’armoires murales vintage de bureau par Kai Kristiansen en une superbe armoire de salle de bain. “On a adoré le palissandre et les portes tambours, mais comme ce ne sont pas des pièces rares, on a pris la liberté de les modifier”, explique Udechuku. Il se justifie en expliquant que le système d’étagère modulable de Kristiansen a été fabriqué au Danemark dans les années 1960, et qu’il était destiné à être le plus flexible possible, pour pouvoir s’adapter aux besoins de l’utilisateur.

“D’abord, on a apporté les meubles à un ébéniste qui a restauré la surface du bois avec de la laque, afin de l’adapter à la salle de bain. Il a même utilisé de l’air comprimé pour nettoyer les traces des portes tambours, afin que celles-ci glissent plus facilement. Ensuite, on a renforcé le système mural pour qu’il puisse supporter un évier en pierre de 60 kilos, déniché à Somerset en Angleterre. L’évier et le robinet ont été choisis du fait de leur style contemporain. En résulte un meuble mural simple, à la fois léger et monumental.  

Kristal Asarum Mirror 1 (c) Ampersand House 2015 copy Kristal Asarum Mirror Courtesy of Ampersand House

Pour couronner le tout, on a ajouté deux magnifiques et rares miroirs de Josef Frank datant des années 1940s. “Le plus grand miroir présente quelques signes d’usure importants, mais nous n’avons même pas pensé à le remplacer, car c’est ce qui fait son charme”, explique Udechuku. Nous sommes tout à fait d’accord avec lui. Et voilà la leçon n°3 : le but ultime est de parvenir à un équilibre délicat entre la restauration, la réaffectation et le maintien d’une patine authentique. Une tâche qui nécessite beaucoup de savoir et d’expérience.

La pratique est mère du succès, et Dansk Mobelkunst le confirme. Slot admet avoir vu “quelques désastres, surtout dans les premières années de la galerie. Aujourd’hui, après plus de 20 ans, nous avons bien établi les liens entre les artisans, pour leur laisser à chacun leur expertise.” Ampersand House insiste également sur l’importance de l’expertise et du réseau : “Dans le cadre d’une restauration, il faut tout d’abord trouver quelles pièces nécessitent une restauration, et savoir ce que l’on peut en faire, en gardant à l’esprit l’aspect financier… Pour cela, il faut une équipe composées de personnes aux atouts différents. Pour cela, nous nous sommes constitué un important réseau d’artisans”.

Sans les décennies d’expérience nécessaires dans le domaine de la restauration, il peut s’avérer difficile de savoir où commencer, et quels artisans contacter pour effectuer le travail. C’est Malte Wrobel qui nous apprend la leçon n°4 : “C’est toujours mieux de travailler avec un spécialiste”. Par ailleurs, il rappelle le besoin d’être au moins un peu créatif dans sa façon de penser. Wrobel nous raconte la fois où il a été chargé de restaurer un abat-jour en métal très fragile et très abîmé. Il explique “Je n’avais aucune idée de comment j’allais procédér. En plus, je n’avais aucun outil. J’ai alors donné la lampe à un artisan spécialisé dans la restauration d’armures médiévales. Il a fait un travail épatant, bien meilleur que ce que j’avais pu imaginer.”

Paul Donzella, de la galerie éponyme à New York, poursuit : “Il y a beaucoup de spécialistes de la restauration. Certains, par exemple, sont spécialisés dans les pièces antiques et traditionnelles, et ne savent même pas comment restaurer un meuble du 20ème siècle. Il en va de même pour les tapissiers ou les rénovateurs de bois. Dans la période d’après-guerre, certaines pièces étaient finies à la laque en spray, et d’autres au pinceau. Si l’on souhaite restaurer une pièce en la rendant historiquement correcte, il faut engager des restaurateurs capables de procéder de ces deux manières, ou engager le plus adapté à ses besoins.”

Donzella, un puits de savoir dans ce domaine, nous offre la leçon n°5 : il faut rechercher, planifier, et rester spécialisé. “L’erreur la plus courante, c’est de ne pas savoir ce dont on a besoin.” Il explique “Selon mon expérience, je sais que la plupart des restaurateurs ne savent pas vraiment comment procéder. Ils vous diront qu’ils savent exactement comment faire, mais ne feront pas leur travail correctement. Pour chaque pièce, je donne des instructions à mes restaurateurs : même quand ce sont les meilleurs et ceux en qui j’ai le plus confiance.”

Panter & Kmiotek, restaurateurs de renommée à Cologne, ont pour clients de nombreux musées et collections privées à travers l’Allemagne. Nous leur avons demandé comment un collectionneur peut être sûr d’avoir contacté un vrai professionnel. Leçon n°6 : “Les collectionneurs à la recherche de restaurateurs diplômés feraient mieux de commencer avec les associations industrielles, comme la Verband der Restauratoren (Association allemande de Restaurateurs). Ces organisations devraient être capables de conseiller des professionnels sérieux et adaptés.” Le duo insiste sur l’importance de différencier une véritable restauration (dont le but est de “stabiliser le matériau originel, et de préserver la condition de l’objet de la décomposition, tout en intervenant au minimum”) des démarches plus drastiques, se rapprochant davantage de la rénovation ou de la reconstruction. La différence est importante et rappelle les propos de tous les vendeurs avec qui nous avons discuté. Pour les pièces rares et uniques, appelées “espèces menacées” par Ide Udechuku, il est indispensable de faire appel à un restaurateur compétent et expérimenté. Il fera en sorte de préserver et réparer délicatement la pièce, sans compromettre son authenticité et son histoire. Pour les pièces moins rares mais tout aussi belles, on peut laisser plus de place à l’imagination.

Il faut faire attention aux artisans qui promettent l’impossible. “Les altérations de surface, comme la décoloration, ne sont que partiellement réversibles”, expliquent Panter & Kmiotek. “Les rayures sur la surface peuvent être réparées dans une certaine mesure. La décomposition des mousses plastiques peut être ralentie par la stabilisation et des matériaux adaptés, mais elle ne peut jamais être complètement arrêtée. Les fissures dans le matériau peuvent être réparées en appliquant les bons adhésifs.” Un véritable professionnel ne vous dira pas seulement quels aspects sont réparables, mais ceux qui ne le sont pas, ou ceux qu’on ne devrait pas essayer de réparer. Si tout cela paraît très compliqué, c’est parce que ça l’est.

D’où la question que nous avons posée sans cesse aux experts et aux vendeurs dans le cadre de nos recherches : est-ce que les collectionneurs inexpérimentés devraient acheter des pièces restaurées ou originales? Slot préfère laisser cette question aux experts. “Le mieux est d’acheter à une galerie de renommée dont vous savez qu’elle a déjà procédé à des restaurations de qualité. Il ne faut jamais acheter des pièces dans leur condition originale, à moins d’être prêt à donner son temps et son énergie pour les restaurer correctement. Même comme cela, il faut garder à l’esprit que la restauration est un processus complexe que les galeries de renommée ont pris des années à maîtriser.” Selon Trioschi, “quand quelqu’un achète un objet restauré, on conseille de demander des photos de l’objet avant sa restauration” afin de s’assurer que son authenticité a été préservée.

Dans le cas d’un héritage familial qui aurait besoin de beaucoup d’amour, il vaut mieux chercher le professionnel qui saura le restaurer et le protéger. L’avis d’un expert serait même utile, car il saura par où commencer et guider le processus. Si toutefois, un collectionneur recherche une pièce particulière, il est sûrement plus prudent de travailler avec une galerie ou un vendeur expérimenté, à moins que l’on dispose du temps et des moyens financiers nécessaires pour s’atteler à la restauration. Si, par chance, on trouve un chaudron d’or du design non-identifié dans un marché aux puces ou un vide-grenier, il faut tenter sa chance, tout en gardant à l’esprit la sagesse de Ike Udechuku : “Mon dernier mot sur la restauration, c’est qu’il faut savoir quand est-ce que l’on peut laisser les choses comme on les a trouvées. Il faut trouver un équilibre entre l’hommage au passé et l’envie de donner aux objets une nouvelle vie.”

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    • Gretta Louw

      Gretta Louw

      Née en Australie, élevée en Afrique du Sud, Gretta vit désormais en Allemagne. Elle est une globe-trotteuse, une artiste multi-disciplinaire et une amoureuse des langues. Elle a obtenu un diplôme en Psychologie et a un penchant très avant-gardiste.

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