L'interview de Tom Dixon par Ambra Medda


Rebel Rebel

Par Ambra Medda

Ambra Medda rencontre Tom Dixon pour la première fois quand elle est enfant. A cette époque, il travaillait pour Themes & Variations, un galerie de design à Londres co-fondée par la mère de Ambra Medda, Giuliana. “J’avais cinq ou six ans”, dit Ambra, “et il m’a fabriqué un aquarium en métal soudé. Je me rappelle être allée au marché avec lui dans l’est de Londres, où il m’a acheté le poisson noir le plus incroyable, celui avec des yeux énormes.” Elle continue : “Je me souviens qu’il me laissait conduire sa voiture, et je me rappelle que sa voiture était vraiment grosse. Il a toujours aimé les voitures et les motos. Et le thé.”

Pendant les vingt années qui suivent, ils sont restés de proches amis. Ainsi, Ambra Medda a eu l’unique opportunité d’observer l’évolution de la carrière de Tom Dixon, et sa capacité apparemment illimitée à se transformer et à se réadapter au marché. “Il est courageux et indépendant. S’il identifie un besoin pour quelque chose, il le crée. Il a tout fait, et il l’a fait à sa façon. Tom a mit un visage sur le design britannique dans les années 1980 et 1999,, et il lui appartient toujours.”

Designer autodidacte et homme d’affaires,Tom  Dixon  ne s’est jamais plié aux conventions. Il a abandonné l’école d’art, a été musicien (il a passé quelques années en tant que bassiste pour un groupe britannique appelé Funkapolitan) et a aussi travaillé dans la scène club de Londres. Pendant les années 1980, alors qu’il est dans sa vingtaine d’années, Tom Dixon se prend de passion pour la soudure, alors qu’il guérit d’un accident de moto. En utilisant des matériaux qu’il trouve, il commence à concevoir des meubles et des sculptures innovants. Le monde du design adhère à son style de vie punk, son attitude DIY et son sens du style, ainsi qu’à son talent impressionnant, son charme spirituel et ses looks uniques.


Au cours de sa carrière, Tom Dixon s’est plié aux besoins de l’industrie et du marché de nombreuses fois : il a produit des pièces lui-même, travaillé avec les plus grandes marques de mobilier du monde, passé un an aux commandes d’Habitat (la marque de décoration d’intérieur de Terence Conran), servit de directeur créatif pour le fabricant de meuble finlandais Artex. Il a également transformé son propre studio, lancé en 2002, en une marque de design et de fabrication. Récemment, il a ouvert un espace pluridisciplinaire à Londres sur les quais de Portobello, a lancé MOST, un lieu d’exposition et d’évènement alternatif coïncidant avec la Design Week de Milan, et a débuté une ligne pour Adidas. Qu'il soit en train de distribuer 100 lumière sur Trafalgar Square ou de collaborer avec Jean Paul Gaultier et Driade, Tom Dixon a toujours réussi à rester en haut de la vague.

Tom Dixon et Ambra Medda se sont installés pour discuter du passé et du présent, et reconsidérer les défis d’une carrière peu commune.

Ambra Medda with Tom Dixon © Ambra Medda

Ambra Medda: Tu es né en Tunisie, c’est ça ?

Tom Dixon: Oui.

AM: Alors comment était la naissance ? Comment cela a pu se passer ? [rires]

TD: [rires] Je crois qu’il y avait un mariage tunisien à côté, donc je suis venu au monde dans le bruit d’une traditionnelle fête de mariage.

AM: C’est plutôt en accord.

TD: J’ai passé une année en Tunisie, puis un an au Maroc et un an à Suez en Egypte, avant de venir en Angleterre à l’âge de quatre ans. Je suis venu du nord de l’Afrique à Huddersfield, dans le nord de l’Angleterre où l’hiver était très froid. Donc mes premières années ont un peu été un choc culturel.

AM : As-tu été à l’école là-bas, ou l’as tu fait avec tes parents ?

TD:  Je l’ai fait avec mes parents. Le seul travail qu’ils pouvaient trouver était dans le nord de l’Angleterre, dans le Yorkshire. Mon père était professeur. Ma mère était journaliste et traductrice à la BBC.

AM: Wow, je ne savais pas. Et que s’est-il passé ensuite ? Tu n’as pas fait de formation en design à l’école. Tu es plutôt autodidacte, ce qui est extraordinaire. Si je comprends bien, tu es tombé dans la musique assez jeune et ensuite tu as commencé la soudure juste après ton accident ?

TD: J’ai passé deux ans à Huddersfield, puis je suis descendu à Londres quand j’avais six ans, et je suis resté à Londres depuis. Je n’ai aucune qualification, même si j’ai étudié le niveau A en poterie. J’ai fait plein de petits jobs quand j’ai quitté l’école : j’ai coloré les films en cartons quand ils étaient encore colorés à la main. J’étais un imprimeur. Et pendant que je faisais ces jobs, j’étais dans un groupe. Le groupe a décollé et j’ai été musicien pendant deux ans. Ensuite, oui, il y a eu mon accident, mais à cette époque j’étais dans le business des boîtes de nuit. Ce qui me laissait beaucoup de temps pour pratiquer mon nouveau hobby, la soudure. Ensuite la soudure a décollé. J’avais trouvé mon rythme. Je suis très impatient et la soudure à l’avantage d’être très rapide pour créer des structures plutôt solides. On peut construire, détruire et reconstruire, très rapidement.

J’ai créé un endroit que je finançais initialement en travaillant la nuit. J’avais mes journées de libre et plutôt rapidement, les gens avec qui j’évoluais dans le milieu du club, des gens impliqués dans la photographie, la coiffure, la mode ou les vidéos, tout ce dont j’avais besoin m’ont fait avancer. Donc un réalisateur de vidéos pouvait me demander de faire un prototype. Ou Vivienne Westwood pouvait avoir besoin d’équipement pour son magasin. J’ai pratiqué et j’ai beaucoup appris comme ça.

AM: C’est pendant cette période que tu utilisais des matériaux récupérés ?

. Scrapchair, 1984, by Tom Dixon © Bonhams Auctioneers

TD:  J’ai commencé à m’entraîner à la soudure sur des objets trouvés et rapidement, les formes ont commencé à suggérer des chaises ou des lampes et je faisais des meubles pour trois fois rien. La première exposition était entièrement fabriquée à partir de débris de métaux, achetés par tonne, déversés dans un magasin abandonné sur Kensington Church Street et soudés à l’avant du magasin pendant une semaine jusqu’à l’ouverture du show que nous avions appelé Creative Salvage. C’était facile d’être anti-establishment à cette époque car le style à Londres c’était soit la fin du Postmodernisme soit les antiquités inspirés par Laura Ashley. Le métal rouillé était un contrepoint radical. Puis j’ai fabriquées moins de pièces pour d’autres personnes et plus d’objets pour moi et pour des expositions, au début au Japon puis en Allemagne, dans des galeries de design ou même d’artisanat. Je faisais plus d’expositions à l’étranger et je vendais à des clients privés. Puis j’ai rencontré ta mère et Lilian (Giuliana Medda et Lilian Fawcett, les co-fondatrices de Themes & Variations) et j’ai travaillé avec elles. Mais à ce moment là je commençais à travailler avec plusieurs assistants et des ateliers plus gros, et j’étais en train de devenir plus international. C’est comme ça que j’ai rencontré les italiens comme Cappellini.

AM: D’accord. Et combien de temps après avoir travaillé avec Cappellini et les autres as-tu commencé avec Habitat ?

TD: J’ai passé à peu près 10 ans à construire mon propre studio, qui était composé de 15 personnes à l’époque. J’ai changé de studios peut-être 6 ou 7 fois et j’ai acheté un magasin avec ta mère.

AM: Tu te souviens qu’il s’appelait Space ?

TD: [Rires] Oui, et ensuite elle est partie et je l’ai continué moi même. Il y avait un assez grand espace pour travailler le métal mais c’était un peu tremblotant. Je n’y connaissais rien en business, en marketing, en vente, rien en fabrication et design, donc ça faisait beaucoup de choses dont je ne savais rien. Et ensuite le job à Habitat c’était en 1998 ou quelque chose comme ça.

AM: Tu as vraiment contribué à rajeunir la marque. Pourrais-tu nous parler un peu de la manière dont tu t’y es pris ?

TD: A cette époque, la marque appartenait à Ikea, donc, pour moi, c’était une fenêtre sur la plus grosse entreprise de meubles du monde. Avec Habitat, j’ai du apprendre tout l’univers de la logistique. Mon premier projet s’appelait le 20th Century Legends (une collection Habitat de 1999 comprenant 13 rééditions de designers contemporains célèbres, un succès majeur pour la marque). Je devais agir rapidement, et développer de nouveaux design prend vraiment du temps, donc j’ai décidé que j’allais rendre visite aux plus vieux designers que je pouvais trouver, et totalement oublier le jeune design pour les trois premiers mois, et que j’allais reconnecter Habitat à ses racines.

J’ai donc rencontré Giuilo Cappellini et Verner Panton et toutes les personnes qui avaient été actives au début d’Habitat, au début des années 1960, qui étaient pour moi héroïques, et je les ai convaincu de participer. Donc assez rapidement, je suis passé de designer à directeur créatif.

AM: C’est incroyable. C’est comme un parcours initiatique, comme si cette partie de ta vie était une sorte d’école.

TD: Oui. C’était aussi un tremplin dans la mesure où j’aimais le fait d’être dans une grosse infrastructure et une organisation mondiale, avec tout le potentiel qui va avec. Mais ce potentiel a peut-être duré six ou sept ans, et puis j’ai réalisé que je ne pourrais pas aller plus loin car a) la marque appartenait à Ikea et b) elle ne m’appartenait pas. J’ai pensé de façon réaliste que si je voulais être capable de prendre de réelles décisions, je devais recommencer par moi même une nouvelle fois.

AM: Donc tu as lancé ta propre entreprise ?

Portrait courtesy of Tom Dixon
TD: J’ai commencé ma propre entreprise alors que j’étais toujours à Habitat, et je suis resté chez Habitat quelques années de plus alors que mon entreprise décollait. Aujourd’hui cette infrastructure a 10 ans donc cela nous emmène au présent.

Je me suis mis dans l’idée d’essayer de copier une marque de mode, avec mon propre nom, et les commandes du design, du développement de la distribution plutôt que laisser cela à d’autres personnes. Bizarrement, je suis toujours dans cette position relativement unique ; je ne vends pas des services de design comme beaucoup de plus grosses infrastructures et de fabricants.

Je m’occupe du développement moi-même, pas tant comme un artisan, mais plus comme une infrastructure globale. Nous vendons au total dans 60 pays. Nous produisons dans 12 autres. Nous avons 75 personnes ici, 3 à Hong Kong et 3 à New York. On a atteint une bonne taille, mais au final, c’est un business complexe qui dépend d’une logistique et d’une perspective internationales. Je crois honnêtement qu’il est possible d’avoir une personnalité locale sur la scène mondiale.

AM: Je suis sûre qu’il est très gratifiant de ne pas avoir à compromettre ta vision. Je sais qu’il y a toujours des limitations et des compromis, mais tout de même.

TD: J’ai essayé chaque jour de ne pas compromettre ma vision (rires), mais il y a toujours un compromis à la fin. C’est ce que tu finis par réaliser.

Je pense que nous avons un peu plus la maîtrise de notre destin que beaucoup de personnes, mais l’inconvénient c’est que nous devons faire des compromis. On ne peut pas investir autant dans l’outillage, on ne peut pas combiner les expertises, comme Flos ou Moroso, qui sont experts en tapisserie et experts en lumière. On doit tout faire par nous-mêmes.

AM: Parlons un peu du Dock (l’espace de travail de Tom Dixon depuis 2009 à Londres sur les quais de Portobello). Tu travailles là-bas, et c’est aussi devenu une destination à Londres. C’est un lieu pluridisciplinaire, avec des bureaux, une salle d’exposition, des espaces évènementiels, un café. J’ai compris que le restaurant avait joué un rôle important dans ta vie ces dernières années aussi. Tu t’entends bien avec le chef Stevie Parle, qui a une approche de la cuisine en harmonie avec ta vision. Peux-tu nous parler un peu du Dock et de ce qu’il se passe ?

TD: Après avoir travaillé dans des vrais bureaux, j’ai pensé que c’était de la folie, que je devrais prendre le contrôle sur la manière dont nous vivons au travail et sur celle dont le travail est exposé. Je crois que beaucoup de de marques de meubles ont des espaces d’expositions statiques. Le mobilier est un produit très statique, il n’a pas l’énergie de la mode ou de la cuisine.

J’étais donc déterminé, et inspiré par la façon de travailler que j’avais connu avec les marques italiennes. Elles ont toutes une cantine qu’elles prennent très au sérieux, où tous les travailleurs se retrouvent et où les clients se rencontrent, ou alors elles ont un restaurant favori où les employés vont prendre une pause de 2 heures et parler business. L’idée, centrée sur la connection entre le business et la cuisine, c’est de prendre de meilleurs décisions si on prend le temps d’en discuter, autour d’un plat, et si l’on ralentit un peu les choses. On est bien plus fort en tant que collectif que tout seul.

Quand on était en train de chercher pour un nouveau studio, il y a quatre ans peut-être, c’était plutôt fortuit pour nous car on était en plein dans la crise financière. Soudainement, l’immobilier ne bougeait plus, et j’ai pu avoir un espace bien plus grand. Nous sommes les heureux gagnants de la récession en un sens. Je crois qu’une partie de mon histoire a été de commencer à partir d’une récession. Je suis “récession chic”.

Dans tous les cas, j’ai la chance que le Dock soit une façon de plus d’exprimer la matière derrière les produits, et que nous puissions le faire dans un espace qui a des liens narratifs et historiques avec la Révolution Industrielle. Le canal en lui même est un conducteur pour tous les produits qui étaient fabriqués en Angleterre et qui étaient envoyés dans le monde entier au 18ème siècle, et inversement, toutes les importations qui venaient de tous les pays en retour.

On utilise donc beaucoup ce sentiment, et remettons à jour les valeurs de l’entreprenariat et du “Britishness”, en gardant les meilleures parties et en ignorant les mauvaises, et être à un endroit qui rappelle cette histoire, c’est super. Le dock a cette aura industrielle, qui vient d’une part du canal, mais aussi car il était les quartiers généraux de Richard Branson pendant 10 ou 15 ans. Il a fait fusionner les deux bâtiments. L’endroit a eu deux vies extraordinaires et maintenant nous lui en donnons une troisième.

Et il y a la qualité de vie qui vient de l’espace extérieur et de l’eau. Nous oublions à quel point nous sommes chanceux, d’être au milieu de Londres et d’avoir tous ces avantages. Donc nous ne bougerons pas d’ici. Je dis juste aux gens de passer pour le déjeuner, et ils le font.

Et la cuisine : tu as raison, il y a une connection entre la cuisine de Stevie et notre travail. J’ai fait un shift en cuisine pendant quelques semaines, et j’ai vraiment beaucoup appris en travaillant là bas. C’est l’importance des bons ingrédients, de qualité, il n’y en a pas trop. C’est probablement la chose qui relie les produit design et la cuisine. Trop de personnes, que ce soit dans le mobilier ou dans la gastronomie passent beaucoup de temps à faire des choses ultra-compliquées. Je pense que l’attitude britannique, c’est peut-être de faire les choses de façon plus brute, et plus simple, plus basique que d’autres, mais aussi en tenant vraiment compte de la qualité des matériaux bruts et du procédé de fabrication. C’est ce qu’il y a de commun.

You are so much stronger as a collective than you are alone.

AM: Une partie de l’idée vient aussi du fait que tu t’es rendu compte d’un besoin pour quelque chose qui n’existait pas et tu l’as juste fait. Tu sembles faire les choses de la façon que tu veux, sans arrogance mais juste parce que tu perçois un besoin. Je me souviens de cette sensation quand j’ai commencé la foire. Il y a toute cette énergie dynamique et ces travaux impressionnants, tout ce qu’il faut, c’est la bonne plateforme. Dans un concept similaire, tu as aussi créé MOST, cette nouvelle plateforme d’exposition au Musée de Science et de Technologie et de Milan, durant la Milan Design Week. C’est très impressionnant, je me demandais si tu comptais utiliser l’espace pour exposer encore l’année prochaine ? As-tu des plans ?

TD: Nous devons faire attention à ne pas nous prendre au piège dans quelque chose pour lequel nous ne sommes pas experts, c’est à dire l’organisation d’un festival. Tu sais mieux que moi combien d’énergie cela demande pour le faire correctement.

AM: Tu veux déclencher quelque chose n’est ce pas ?

TD: Dans le monde moderne, tout se fait à partir du réseau et des personnes avec qui tu collabores. Je pense que l’on est tellement plus fort en collectif que tout seul, et je pense à la façon qu’ont eu les marques de se présenter, uniques et héroïques; ce n’est plus si moderne.

Ce qui est mieux, c’est d’avoir des personnes qui ont la même façon de penser, et avec qui tu partages la même sensibilité et d’essayer de construire quelque chose qui a une portée critique un peu plus massive. Même avant Habitat, j’ai toujours aimé l’idée de pouvoir créer un ensemble à travers la collaboration avec les personnes, de pouvoir agir dans un mouvement.

Il y a une tendance qui est que si on expose par nous même, on ne reçoit pas de critiques massives. Mais je pense que tous les espaces d’exposition à Milan sont devenus si contrôlés et orientés vers le commerce qu’ils en oublient que la scène dans son ensemble est devenue un carnaval d’idées, ce qui est très excitant. Milan me rappelle l’étrangeté des espaces indépendants, et il y a deux ou trois endroits où tout le monde essaie de te faire signer pour un endroit et de te contrôler d’une certaine façon. Je ne pense pas que la créativité fonctionne comme ça.

Je pense que nous allons continuer l’année prochaine et que nous allons y participer, mais nous essayons de déléguer la partie organisationnelle. Tout le monde dit que c’est la fin de Milan, que Milan est au bout de ses possibilités, mais ce n’est pas vrai.

AM: Je suis totalement d’accord avec toi.

TD: C’est extraordinaire quand on regard à ce que c’était quand ça a commencé et ce que c’est maintenant.

AM: C’était vraiment seulement des personnes de l’industrie du design qui étaient établies.

TD: C’est vrai, je suis intéressé par cette évolution aussi. Aujourd’hui c’est presque comme une industrie de touristes. J’aime bien l’idée que les gens voyagent du monde entier pour un événement de design. C’est comme une conférence, pas une foire d’échange. En fait, de moins de moins de personnes font des affaires ici, ou dépensent de l’argent en meubles ce qui est étrange. C’est devenu un événement divertissant et un phénomène social.

AM: Je crois qu’il y a le désir de faire partie d’une communauté. J’ai réalisé cela avec la foire aussi. Le désir de faire partie de quelque chose de plus grand. Le monde du design est relativement ouvert et tolérant, donc c’est intéressant de voir ce qu’il va se passer avec l’évolution de cette communauté. Qu’est ce qu’il en est de ta collaboration avec Adidas ? J’ai beaucoup aimé ta présentation pendant Salone en Avril dernier. C’était tellement engagé et lyrique, presque “monacal chic” (rires). C’était comme si ce n’était pas vraiment un effort, il y avait quelque chose de si calme, pas flashy, qui la rendait très désirable et intelligente; et le choix des couleurs était vraiment beau. Comment a commencé cette collaboration, et qu’est ce qu’il se passe maintenant ? 

TD: Nous avons parlé à Adidas à propos de la collaboration, et c’est rapidement passé d’une simple édition de chaussure à quelque chose de sérieux. Ils nous ont signé pour quatres saisons, ce qui est un réel engagement. Une autre marque de chaussures ou de sport le ferait seulement pour un produit peut-être, donc je crois que leur engagement est assez important.

D’un point de vue design, il était question de ressembler à du sportswear, d’une perspective non-sportswear, ou mode mais d’une perspective “non-mode”, et aux vêtements d’une approche réduite. C’était une réaction naturelle à toute l’hyperactivité dans les vêtements de sport, le plastique moulant, les rayures d’accélération, les parties aérées pour respirer et tout cela, et le rythme ininterrompu de la mode, qui signifie que même en restant immobile, tu vas surement un peu plus transpirer que d’habitude.

Nous avons le bénéfice de ne pas avoir d’histoire dans la mode, donc nous pouvions partir de zéro, ce que beaucoup d’entreprises ne peuvent pas faire. Je pense que les effets de ce look réduit ou “monacal” venait de là.

Mais la partie difficile était de dire, de toutes les choses que nous pouvions faire dans le vêtement de mode et de sport, ce qui n’a pas été encore fait. Effectivement, tout a été fait. Tu penses à une idée et c’est tout de suite, ah oui, un tel ou un tel a fait ça en 1972. Penses à une autre idée et c’est, oui, mais Stella Mc Cartney y travaille en ce moment. C’est beaucoup plus dur d’être un novice en mode et en vêtements de sport, particulièrement en chaussures, parce qu’il y a des centaines de designer autour, chez Adidas seulement, c’est quelque chose comme 1200 styles par an. L’idée de faire moins, et d’être plus orienté vers un résultat, ça a été une épreuve de vrai moderniste.


AM:
On t’a parfois décrit comme un “marginal”, ce que j’approuve. Est-ce que c’est un mot que tu utiliserais pour te décrire ? Ou bien est-ce que ça t’ennuie ?

TD: Je ne me suis jamais défini comme tel. Je ne m’en préoccupe pas. Je n’ai jamais eu l’impression de faire partie d’une équipe ou d’un mouvement. Tout de même je pense que j’essaye au maximum de ne pas être comme quelqu’un d’autre, alors, tu peux appeler ça comme tu veux : de l’obsession, ou du marginalisme ou tu ajoutes justes “anti”.

Quel est l’intérêt d’ajouter plus de ce qui existe déjà dans le monde ? Il y a tellement de choses de toute façon. Je fais de mon mieux et des fois j’échoue à le faire différemment. Mais je pense que j’ai beaucoup appris de ces différentes expériences ; faire partie d’une entreprise ou ne pas en faire partie, fabriquer quelque chose de mes mains et aussi travailler avec les plus grands fabricants du monde. J’ai eu des expériences en musique et en business, qui ont eu beaucoup d’influence, car j’ai grandi à une époque où il y avait beaucoup de marginaux autour de moi. La génération punk, ça c’était marginal. Vraiment.

J’ai appris beaucoup de ficelles à partir de là mais je ne peux pas dire que je les ai inventé. L’idée de ne pas avoir besoin d’un certificat et de pouvoir produire par toi même est vraiment venue de l’industrie de la musique, tu fais tes propres concerts, tu écris ta musique, tu apprends à jouer ton propre instrument et tu ne reçois pas de cours. Mon attitude est influencée par ça. Quand ton attitude est assez forte, alors elle t’es utile.

AM: J’ai l’impression qu’elle est unique et personnelle, et que c’est ça qui te rend si spécial. Où est-ce que tu fais du shopping ? C’est quoi ton style ? Quand je vois ton look, je pense “Où est-ce qu’il a dégoté ça, disons ce gilet si parfait ? Il est vintage ?”

TD: En fait non, pas vintage. Bizarrement, c’est surtout de la seconde main. Ce qui est génial maintenant que je fais une collection, c’est que je me dis, “Je n’ai plus besoin de faire du shopping ! Je peux aussi faire mes propres vêtements. J’ai beaucoup acheté de seconde main car j’aime le côté unique. Pour le reste, c’est entre Uniqlo et COMME des GARÇONS, suivant la taille de mon porte-monnaie.

AM: Dernière question, s’il te plaît ne le prends pas mal : pourquoi est-ce que les musées collectionnent moins ton travail que certains d’autres designers de ton époque ? Je trouve ça très bizarre. Si j’avais cette opportunité, je le ferais à 100%. Est-ce que j’ai raté quelque chose ?

TD: Je crois que les gens ont vraiment un problème avec le commerce.

AM: Ah, je suis contente que tu dises ça. Oui c’est vrai.

TD: Il y a cette idée, qui vient principalement des hollandais, l’école d’Eindhoven par exemple, que l’on est seulement “pur” en tant que designer si on ne se commence pas à vendre. Donc tu vends quelque chose et tu fais un pas en arrière.

La deuxième chose, c’est que j’ai pris des vacances de 10 ans sans aucune production, et presque sans aucun design. C’est comme avoir un enfant pour une femme ; ça te fait revenir en arrière. J’avais un atelier et je fabriquais des choses et ces choses ont pris de la valeur. Mais je crois que les personnes qui ont eu du succès sont celles qui étaient des experts en la matière. Moi je ne l’étais pas, je n’ai jamais chiffré quoi que ce soit; je n’ai jamais pris de photos de quoique ce soit. Les artistes ont documenté leur travail depuis le début. Je n’ai jamais fait ça; j’étais plus intéressé de pousser les choses plus loin et d’obtenir assez d’argent pour faire les prochaines.

AM: Mais est-ce que cette philosophie ne fais pas de toi un designer “pur”?

TD: En fait je crois que les personnes qui ont de la valeur sont principalement mortes maintenant. La production est rare parce qu’elle est rare, pas parce qu’elle a été créée pour être rare. Ils faisaient des coupures de métals et des productions en série qui n’ont pas eu de valeur pendant 30 ans, jusqu’à ce que l’on se rende compte de leur valeur. Je ne veux pas me mettre dans cette catégorie. Mais il y a un côté snob autour du commerce, comme je l’ai dit, et il y a un système autour des valeurs pour lequel je n’ai jamais eu d’intérêt.

AM: Je comprends tout à fait.

TD: Il faut que tu donnes l’autorisation, que tu catalogues et ensuite ça prend de la valeur... qui sait comment ça marche, mais je ne me suis jamais décidé à être représenté par ce type d’entreprise qui construisent ce type de marché. C’est comme l’art. Il te faut la galerie, la narration et le musée pour coordonner, pour faire ton histoire. C’est extraordinaire quand tu vois Moss, quand tu vois le V&A, ce qu’ils collectionnent et tout le reste. Ils ont cette obsession pour les design narratifs complexes, qui est quelque chose que je ne fais pas.

AM: Si tu pouvais choisir une exposition rétrospective quelque part dans le monde, quel musée choisirais-tu ?

TD: Tout le monde veut aller au Museum of Modern Art. En fait ce que tu veux, c’est comme un énorme tampon d’approbation, non ? Je serais plutôt content avec Pompidou ; ou peut-être aller jusqu’au nouveau monde - le Brésil peut-être.


Cette interview a été modifiée

  • Introduction by

    • Anna Carnick

      Anna Carnick

      Anna est la Rédactrice en Chef de Pamono. Ses textes ont figuré dans plusieurs publications d'art et de culture et elle a rédigé plus de 20 livres. Anna aime rendre hommage aux grands artistes et elle apprécie tout particulièrement les bons pique-niques.
  • Interview by

    • Ambra Medda

      Ambra Medda

      Ambra is a passionate, seasoned curator, who facilitates great design through innovative collaborations between designers, artists, brands, and institutions. Among many other things.

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