La designer berlinoise Tina Roeder bouscule les tendances
Une personnalité authentique
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Designer Tina Roeder
Photo © Pedro Gething pour Pamono
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Le studio de Tina Roeder
Photo © Pedro Gething pour Pamono
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Le studio de Tina Roeder à Berlin
Photo © Pedro Gething pour Pamono
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Tina Roeder présente une oeuvre en cours
Photo © Pedro Gething pour Pamono
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Echantillons dans le studio de Tina Roeder
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Le studio de Tina Roeder à Berlin
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Garniture (2017)
Photo © Pedro Gething pour Pamono
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Garniture (2017), Tina Roeder et Ward Merrill Hooper
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White Billion Chairs (2002-2009), Naked Couch (2004)
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White Billion Chairs (2002-2009), détail
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Matériaux dans le studio de Roeder
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Blue Leather Shelf (2012), á La Recherche (2012)
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Modèles architecturaux dans le studio de Roeder
Photo © Pedro Gething pour Pamono
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Karl-Marx-Allee, où se trouve le studio de Roeder
Photo © Pedro Gething pour Pamono
Au début des années 2000, alors qu’elle terminait ses études à la Design Academy Eindhoven et qu’elle fondait son studio à Berlin, Tina Roeder était prête à devenir une étoile montante du design. Une pièce de son projet White Billion Chairs (2002/2009) - une série de 33 chaises monobloc, chacune personnalisée avec 10 000 trous percés à la main - fut achetée par le Vitra Design Museum pour sa collection permanente. Choisie par Gallery Fumi à Londres, elle s'imposait aux acteurs les plus importants du secteur et apparaissait dans les éditoriaux des magazines aux côtés de Martino Gamper et du Campana brothers. Mais plutôt que de céder aux sirènes de la popularité, cette designer maintenant au milieu de sa carrière a suivi son instinct sur une voie intérieure qui la ramène toujours vers le Nord. Les connaissances qu’elle a acquises au cours des quinze dernières années ont non seulement approfondi la qualité de son travail mais également son appréciation du rôle que le design joue dans la société actuelle.
Le studio de Roeder est situé sur l’imposante Karl-Marx-Allee à Berlin dans un bâtiment de style socialiste classique, initialement compris dans un projet de construction phare d’après-guerre en Allemagne de l’Est. Le quartier est imprégné de notions contradictoires de grandeur et décadence, d’histoire et d’incertitude. La designer elle-même est une femme entière, dynamique et souriante ; elle observe son environnement, le marché et l’évolution des tendances avec intérêt mais aussi un certain détachement critique. Prenant en compte ses observations et ses analyses, ses pièces mettent en œuvre à la fois l’intellect et la sensibilité. Autour d'un thé siroté dans des tasses raffinées sans anse, nous abordons son parcours, de l’étudiante en design idéaliste à l’artiste-designer qu’elle est devenue.
En revenant sur les pièces de Roeder des dix dernières années, on observe une tendance claire ; un développement progressif de ses premiers travaux aux formes épurées révélant leurs structures, à ses pièces plus actuelles qui soulignent un travail par couches. On pourrait dire que, dans l’ensemble, son intérêt s’est toujours porté sur les structures et les strates. « Je n’ai jamais voulu vivre une vie architecturale et minimaliste, sans décoration, » dit-elle au sujet de ses premiers travaux. Son projet de fin d’études, la série Visual Anaesthesia (2004), qui comprend l’époustouflant Naked Couch, a souvent été mal compris comme une sorte de parti-pris strict, spartiate et effectivement minimaliste. En regardant les photos, on comprend facilement l’origine de ce malentendu. Le Naked Couch est construit sur une structure fine et angulaire en acier chromé. Mais tandis que le squelette de la pièce peut sembler austère, les bandes de cuir délicieusement douces et colorées révèlent un tout autre aspect. En réalité, une histoire personnelle se cache derrière la construction de ce divan classique ; Roeder a passé des mois à quadriller de façon obsessionnelle les marchés aux puces et les ventes privées afin de trouver les dizaines de ceintures et de sangles qu’elle a rigoureusement documentées et personnalisées. Dans ce processus - et pour Roeder comme créatrice - tout réside dans l’authenticité. Il est question de sensualité de l’expérience et non d’esthétique.
Un autre exemple parfait : dans son studio, Roeder me montre la Blue Leather Shelf (2012). Encore une fois, la forme est conventionnelle. Sa forme classique est composée d’une structure en acier et - voici la surprise - recouverte à la main d’un cuir de luxe. Sans décoration ni superflu, ces pièces restent néanmoins à des années-lumière de la sensibilité minimaliste. La dimension tactile et chaleureuse du cuir parfaitement travaillé sur la structure moderniste en acier laisse une impression d’extravagance discrète.
Très tôt, les commentateurs ont été enclins à évoquer l'investigation des choses, des objets et des archétypes dans le travail de Roeder, mais elle a refusé de se laisser enfermer dans ce genre de catégorisation. Roeder voit son travail comme l’exploration d'histoires ; elle s'intéresse au développement d’une narration et des différentes perspectives qui coexistent toujours dans chaque histoire. Dans sa série Credenza, elle a eu l’idée d’un procédé qui combine la superposition additive à des techniques soustractives pour créer des meubles qui englobent cette notion de structures en strates et la multiplicité des interprétations. Le Custom Cabinet (2014) produit avec Gallery FUMI, par exemple, utilise des couches d’aluminium fraisé par CNC, perlé et anodisé pour créer des perspectives différentes dans l’intérieur du meuble.
« Je n’aime pas dissimuler les choses, » explique Roeder, « tout doit être exposé. » Pourtant, son approche de cette mission n’est pas aussi directe que ce qu’on trouve dans le style industriel, par exemple ; elle travaille à la limite de la structure, de l’échafaudage et de la façade. Sa Slow Light Credenza (2010) résume à elle seule à quel point le travail de Roeder peut devenir conceptuel ; une construction éthérée de 5068 bandes de verre de 2 mm installées sur de grands pieds en acier. Littéralement, rien ne peut être dissimulé dans cette pièce entièrement transparente. Slow Light est davantage une œuvre d’art qu’une pièce fonctionnelle de design. Ou éventuellement un bijou. Effectivement, Roeder raconte la façon dont elle envisage ses travaux comme des bijoux à grande échelle ; elle est attirée par la valeur intrinsèque, le détail et le savoir-faire de cette discipline.
Mais pour une designer qui ne manque visiblement pas d’idées et dont la carrière a atteint des sommets impressionnants dès le début (comme la Nude Facade Credenza en acier inoxydable gris colombe qu’elle a produite en collaboration avec Fumi et la collection privée Fendi en 2010), pourquoi n’a-t-on pas davantage entendu parler de Tina Roeder dernièrement ? Tout simplement parce que dès ses débuts, elle a adopté une stratégie devenue de plus en plus populaire chez les artistes et les designers : la lenteur. « Être originale prend du temps, » affirme Roeder tandis qu’elle explique sa vision de sa carrière : une vie entière plutôt qu'une course. Elle a passé les trois dernières années uniquement à faire des recherches et à réfléchir. « Il faut réfléchir à ce que l’on présente, » conseille-t-elle, ajoutant que selon elle, certains de ses collègues « ne sont pas assez exigeants avec leur propre travail. »
Roeder est bien accompagnée. Glenn Lowry, Directeur du MoMA, a déclaré « la lenteur est une vertu et non un problème, lorsqu’il s’agit de réflexion. » Et lorsque, comme Roeder, l’on cherche davantage à se frayer une place au panthéon des grands du design, plutôt qu’à exposer son travail dans chaque événement du secteur, ces périodes de réflexion délibérée et analytique sont essentielles. Une chose est certaine : la série Credenza a fait l’objet d’examens les plus rigoureux et Roeder continue de croire en le potentiel de cette œuvre en cours. « Mon plus grand rêve est de faire un meuble par an, » reconnaît-elle. Une mentalité éloignée de certains designers contemporains qui travaillent par cycles rapides de production-éclair et de relations publiques.
Un tel engagement envers son art a cependant un prix, en particulier dans un secteur en constante évolution et fondé sur les tendances. Résister aux modes et aux tendances a évidemment permis à Roeder de beaucoup apprendre; et ce furent des leçons difficiles et éprouvantes. Le conseil qu’elle donnerait à celle qu’elle était il y a quelques années ? « Aie confiance en ton travail, » dit-elle ; développer cette imperméabilité et cette confiance est essentiel. Pour Roeder, se tourner vers l’avenir signifie traduire sa ténacité en quelque chose de plus léger ; « Je veux être courageuse et m’amuser. » Elle entame actuellement une nouvelle collaboration avec son partenaire, le designer new-yorkais Ward Merrill Hooper, tout en continuant à travailler (lentement mais sûrement, bien entendu) sur la série Credenza, qui semble devoir devenir son véritable héritage. Près de 15 ans après avoir obtenu son diplôme et dix ans après avoir fondé son propre studio, Roeder a selon nous bien mérité le droit à un peu d’expérimentation ludique, mais également sa place dans l’histoire du design.
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Gretta Louw
Née en Australie, élevée en Afrique du Sud, Gretta vit désormais en Allemagne. Elle est une globe-trotteuse, une artiste multi-disciplinaire et une amoureuse des langues. Elle a obtenu un diplôme en Psychologie et a un penchant très avant-gardiste.
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