Trois studios design rendent le quotidien magique


L'Alchimie de Tous les Jours

Par Anna Carnick

Certains designers puisent leur inspiration en observant les étoiles. D'autres développent leur potentiel créatif à deux pas de chez eux : ils décèlent la beauté dans les choses communes, les objets de la vie de courante que nous utilisons certainement tous et auxquels nous n'aurions peut-être jamais pensé. Des meubles abandonnés jusqu'aux outils traditionnels, ces studios de design ingénieux voient un potentiel poétique dans toutes les choses qui nous entourent.

Hinterland

Une toile multicolore crochetée à la main en coton, laine et nylon recouvre le cadre en acier du magnifique repose-pieds Tidal Flux conçu par le créateur Riley McFerrin. Ce design a plus particulièrement été inspiré du célèbre piège à crabe originaire du nord-ouest du Pacifique. McFerrin a choisi de créer cette extraordinaire pièce aux couleurs à la fois vives et pastels afin de célébrer la beauté des paysages naturels et de crier haut et fort sa passion pour la pêche traditionnelle. « Nous sommes habitués à vivre au bord de la mer, les vagues bercent le rythme de nos journées » nous explique McFerrin. Il pointe alors le revers de son tissu aux couleurs bariolées et nous raconte : « Les pêcheurs de la région ont dépendu pendant des siècles de pièces réalisées à l'aide de noeuds et de cordes récupérées. J'ai une profonde admiration pour le côté bricoleur, artisanal et économe de ces marins ».

McFerrin est le fondateur de Hinterland, un studio basé à Victoria en Colombie-Britannique au Canada. Il est né à Los Angeles, mais a passé plus d'une vingtaine d'années du nord-ouest du Pacifique. Au sein de son studio qui regroupe de nombreuses disciplines, sont créés des objets bien pensés, fonctionnels et tous axés sur le thème de l'artisanat. Toutes ces fabuleuses pièces sont minutieusement conçues à l'aide de matériaux naturels qui proviennent souvent de forêts et de plages en Colombie-Britannique. McFerrin a poétiquement réinterprété un objet hautement symbolique et issu de la région en choisissant de créer le Tidal Flux (qui a vu le jour à l'ICFF en début d'année).

En plus de ces formes, la palette de couleurs du designer a pour but de refléter la vie au bord des côtes.  « Le thème général des couleurs a été pensé pour créer une parfaite harmonie entre une haute visibilité, des cordes fluorescentes (celles que les marins ont pour habitude d'utiliser) et une version plus édulcorée avec des nuances qui représentent les terres altérées par la mer ». McFerrin annonce : « Selon moi, c'est simplement pour donner un côté purement moderne ».

L'assise aux formes complexes du repose-pieds est un clin d'oeil aux mouvements artistiques des années 1960, 1970 et 1980 (une sorte de macramé de l'époque hippie. « C'est quelque chose avec laquelle j'ai grandi », puis McFerrin ajoute : « et que j'ai toujours trouvée si incroyablement décoratif. À la fois bizarre, inutile ou même chamarré mais si bien conçu. Je voulais réinventer ces techniques pour créer une tapisserie plus abstraite ».

Nous lui avons demandé ce qu'il espérait que les gens retiennent du Tidal Flux, il nous a alors répondu : « J'espère qu'ils passeront leur temps à admirer le travail minutieux nécessaire pour réaliser une telle pièce. En allant de chaque petit noeud à la plus petite des torsades. Nos mains sont encore capables de concevoir de magnifiques objets, tout comme les marins en étaient capables il y a des siècles (sauf qu’aujourd’hui le processus est engrangé pour créer une pièce qui illuminera votre salon plutôt que le fond de l’océan) ».


Les tapisseries d'Inigo Elizalde

Né aux Philippines et désormais basé à New York, le designer de textile Inigo Elizalde, puise lui aussi son inspiration dans ses propres expériences du quotidien et des objets de la vie courante. Ces tapisseries hautement conceptuelles et réalisées selon les coutumes Népalaises font référence à un éventail éclectique de stimuli qui s'étendent sur des modèles géologiques et de la faune, des bijoux et une architecture de style Art Déco ainsi que de matériaux inhabituels tels que le cactus et l'ortie, ou encore des ses propres croquis et photographies.  

Ces sont les moments éphémères de la vie d'Elizalde qui pourraient galvaniser une collection toute entière et finalement lui permettre de vivre à travers ces moments. Ceux ou par exemple  il contemple le coucher de soleil qui se reflète dans le fleuve d'Hudson à New York, ou encore espionne les motifs changeant d'un écran de veille.

 Pour sa collection vivante intitulée Collection III, Elizalde a décidé de faire un retour aux sources.Il s'est plus précisément inspiré de sa ville natale Manille où les Jeepneys qui servent de transports en commun sont décorées de ces fabuleux motifs kitsch et vibrants d'originalité à la fois). Ces véhicules datent de la fin de la seconde Guerre Mondiale, lorsque les locaux ont rénové les jeeps abandonnées par les troupes de l'armée Américaine. Les Philippins les ont alors dépouillées, refaçonnées de sorte à ce qu'elles puissent transporter plus de passagers. Ils les ont décorées à l'aide de couleurs et de graphismes les plus vibrants les uns que les autres.

Selon Elizalde « les Philippins ont d'ailleurs une expression commune pour ce style :  l'esthétique Jeepney. Ce style fusionne toute sorte de choses. Le résultat est quelque peu loufoque, lourd, coloré et bordélique mais c'est ce qui fait son charme ». Sa collection comporte une série de tapisseries colorées et qui portent le nom des divers arrêts de bus qui bordent les principales routes parcourues par ces fameuses Jeepneys (Tesoro, Guadalupe et ainsi de suite).

Chacune de ses tapisseries reflète abstraitement la structure du véhicule, incluant les phares, les pare-brises, les couronnes et les ailes. Ces textures et motifs épais sont utilisés pour nous rappeler « les mouvements de zigzag des voitures lors de la circulation ». C'est à ce moment que Elizalde déclare : « Ce que je veux, c'est pouvoir prouver que cette beauté à la fois fascinante et conçue de motifs excitants peut être réellement trouvée n'importe où ». Puis de continuer : « Je suis passionné d’objets de récupération car le design est déjà présent. Il ne suffit plus que de réussir à le déceler, l'extraire et à le façonner comme bon me semble ».

 

Whartonized Kramer enfilade par Markus Friedrich Staab Image avec l'aimable autorisation de Frank Landau & L'AB/Pamono
Markus Friedrich Staab

Markus Friedrich Staabest un artiste et designer allemand. Lui non plus ne s'est pas seulement inspiré d'objets ordinaires, et utilise comme support du mobilier de style Mid-Century déniché dans les rues ou sur les brocantes. Staab transforme des pièces omniprésentes dans notre quotidien en des œuvres singulières. Afin de réaliser ce tour de magie, il rénove puis peint des chaises récupérées, des tabourets et des tables avec des éclats de couleurs vives, puis les scelle à l’aide de laque haute brillance.  De cette façon, il apporte une valeur ajoutée au mobilier et lui redonne une seconde vie. Comme Staab l’explique si bien : « Les pièces qui étaient un jour massivement produites et homogènes deviennent enfin uniques : recyclées, rénovées, remisées et embellies ».

Cet artiste autodidacte a passé les dix premières années de sa carrière à peindre et réaliser des sculptures. Il a décidé de réorienter son savoir-faire dans la rénovation de mobilier pendant l’été 2010, lorsqu’il a trouvé un set de 6 chaises  “sensationnelles”  qu’il a dénichées au bord de la route. « Soudainement, presque tous les jours qui ont suivi, je trouvais du mobilier dans les rues. Mon atelier débordait de pièces abandonnées, destinées à finir aux encombrants. Je voulais leur donner une seconde vie, c'est pourquoi je les ai repeintes à la bombe pour ainsi les reformer ».

Staab fait référence à l’approche des couleurs de l’artiste Danois Poul Gerne lorsqu’il explique d’où provient son inspiration pour la création de sa propre palette de couleurs riches : « Gerne a dit un jour que les couleurs changeaient notre vie, et en ce sens, je décrirais mon travail comme une nouvelle source de vie : j’apporte de nouvelles attentions à ces pièces et je leur donne une seconde vie ». Au cours des dernières années, Staab s’est familiarisé avec des pièces richement tordues et qui ont fait tourner la tête de plus d’un.

Entre autres, son travail a été inclus à la galerie expérimentale de Londres au 19 Greek Street, au sein de l’exposition LDF de cet automne. Il était chargé de réaliser un set de 50 chaises pour un restaurant l’année passée pour le musée Moderne Kunst (MMK)(Art Moderne) à Francfort. Quel que soit le lieu de résidence final pour ses oeuvres, selon Staab, chaque nouvelle pièce dénichée lui donne l’opportunité de raconter une nouvelle histoire. « J’aime apporter une valeur ajoutée et du sens à quelque chose qui a été trop négligé, c’est-à-dire,  libérer l’objet de son utilisation traditionnelle, et le transformer en quelque chose de spécial. A travers ce procédé, une chaise autrefois utilisée quotidiennement devient une oeuvre d’art à part entière ».



  • Text by

    • Anna Carnick

      Anna Carnick

      Anna est la Rédactrice en Chef de Pamono. Ses textes ont figuré dans plusieurs publications d'art et de culture et elle a rédigé plus de 20 livres. Anna aime rendre hommage aux grands artistes et elle apprécie tout particulièrement les bons pique-niques.

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