Promouvoir un mode de vie réfléchi à travers le design, voilà la mission de Marc Peridis de 19 Greek Street


Élever le design

Par Wava Carpenter

Quand on demande à Marc Peridis ce qui le motive à s'investir autant dans le design éthique, il répond : “notre espèce fait tout de travers, et je suis persuadé que des aliens nous regardent en riant. Nous sommes en train de nous épuiser à faire des jobs que l’on déteste pour pouvoir se payer des choses dont on a besoin. On ne fait que suivre ce chemin pré-programmé sans jamais le questionner, malgré toutes les conséquences qu’il engendre. Heureusement, on peut sentir qu’une petite révolution se prépare.” Dans sa quête pour vivre mieux, à l’occasion du London Design Festival, Marc Peridis a organisé Art of Progress, une exposition aux nombreux niveaux et facettes dans sa galerie nommée 19 Greek Street.

Souvent félicité pour ses expositions, le canadien Marc Peridis doit sa réputation internationale à son offre d’objets contemporains par des designers tout frais, que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Cependant, l’arrivée de Marc Peridis dans le monde du design est très récente : ce n’est qu’après s’être aventuré dans le droit, le business et le marketing, qu’il a trouvé sa voie. C’est au moment de la crise financière qu’il lance son propre studio de design et a rapidement rencontré un grand succès. Malgré cela, il ne se sentait toujours pas à sa place. “Après plusieurs années à diriger le studio, j’ai réalisé que ce n’était pas ce que j’avais envie de faire”, explique-t-il. “C’était très commercial, amusant mais pas si profond que ça. Je me suis dit que j’allais faire exactement ce que je voulais faire, sinon je quitterais l’industrie et partirais à la recherche d’autre chose. Je ne pouvais pas continuer à faire quelque chose qui ne me plaisait pas à 100%.”

En 2012, Marc Peridis ouvre 19 Greek Street, une galerie/studio de design d’intérieur/maison de production de design contemporain dans le quartier londonien cosmopolite de Soho. Il admet que ce changement était plutôt spontané et risqué, et seulement motivé par son intuition. En effet, il trouvait que cette petite maison de ville victorienne à six étages pourrait le satisfaire davantage. Avant même de savoir quoi en faire, il avait signé le bail de 10 ans.

D’année en année, étape par étape, Marc Peridis a défini ses buts en suivant ses instincts et ses goûts, qui le mènent à découvrir de jeunes talents au fort potentiel. Assez naturellement, il a développé une collection internationale qui inclut le travail de la danoise Nina Tolstrup, du néerlandais Dirk Vander Kooij, de l’allemand Werner Aisslin et de la libanaise Karen Chekerdjian.

La durabilité est le fil conducteur de son programme. “Je souhaitais créer un espace dans lequel l’expérimental a une chance. Les gens qui poussent les limites esthétiques et matérielles sont souvent ceux qui se posent des questions sur l’état du monde et ce que l’on pourrait faire pour l’améliorer.” Depuis trois ans, Marc Peridis s’engage corps et âme dans son projet et dans la promotion d’un type de design et de styles de vie qui “font du bien et font avancer le monde, sans pour autant sacrifier le bon goût”

Avec son dernier projet Art of Progress, sa mission a changé de dimension : il a réquisitionné les quatre étages du 19 Greek Street pour y installer un café meublé avec des pièces de sa collection, un appartement mise en scène avec des designs de tous genres, une salle de lecture pour débattre en profondeur de la durabilité, et un espace de méditation. Marc Peridis a choisi comme co-organisateurs d’autres groupes aux idées similaires, comme l’entreprise de textile durable Camira, la marque écologique et équitable de tricot Tengri, le collectif d’artiste Human Nature et Salt, un nouveau magazine dédié aux initiatives commerciales bienveillantes. Les éléments et participants à ce projet se renforcent mutuellement “afin de faire bouger les gens vers un mode de vie plus éthique.”

Ethically made designs at The Art of Progress Photo courtesy of 19 Greek Street

Ici, “éthique” revêt plusieurs significations. Au niveau environnemental, on trouve les projets d’énergie solaire du studio autrichien Mischer’Traxler et du designer néerlandais basé à Londres Marjan van Aubel. Le premier est la dernière incarnation d’Idea of a Tree, leur projet de fin d’études, qui utilise la lumière du soleil pour produire et donner forme à une série de bancs, et le second remplace les fenêtres du 19 Greek Street avec Current Windows, une forme high-tech de verre taché qui convertit le spectre de la lumière ambiante en énergie électrique afin d’éclairer les autres parties du bâtiment.

Dans la même lignée, les vases et la vaisselle 40x40 en marbre Carrera du duo italien Paolo Ulian et Moreno Ratti ont été créés à l’aide de restes industriels. Chaque pièce de l’architecte designer Lionel Jadot est sculptée à partir d’objets trouvés. Le célèbre designer néerlandais Tord Boontje a conçu le projet Transglass, un système de transformation de bouteilles usagées dans un décor élégant. Ce concept qui a débuté en 1997 a aujourd’hui sa propre marque, dont la production est située à Guatemala City, dans le cadre d’un programme visant à apprendre la verrerie aux jeunes.

On retrouve également Split Boxes, système de rangement mural par le britannique Peter Marigold, qui utilise des rondins très fins dans un algorithme géométrique à la foi low-fi et haut de gamme. Le projet de Peter Marigold n’est pas vraiment éthique, mais “se préoccupe plutôt de l’impérialisme et du contrôle des masses”, qui selon le designer fait bien plus de mal à la planète que la maltraitance de l’environnement. Du moins, ces deux font la paire. Avec ce projet, il tente de représenter la frugalité de son approche de vie et de travail qui tend à user et dépenser moins dès que possible.

Quand on leur demande de commenter la mission éthique de Marc Peridis et comment celle-ci s’aligne avec leur vision du design, les designers participants semblent partager un sentiment de gratitude envers cette plateforme bienveillante. Selon le duo israélien Noam Dover et Michal Cederbaum, qui travaille avec 19 Greek Street depuis le début et notamment sur Art of Progress, “l’esprit de cet espace influence notre travail et le met en question sans arrêt. La complexité de notre monde et de notre région est de plus en plus évidente, autant dans leur concept que dans leur esthétique. En ce sens, 19 Greek Street est une sorte de phare où les véritables préoccupations sont abordées à travers le design, sans cynisme mais avec beaucoup d’esprit.”

Selon Tord Boontje, “l’engagement de 19 Greek Street à l’entreprenariat éthique en fait le leader d’un nouveau type de business de design. En plus de refléter un certain idéalisme, il va de l’avant dans la culture contemporaine. Il est très rafraîchissant pour moi de voir des produits éthiques, remarquables, de pointe et inattendus.”

Lionel Jadot ajoute “je me sens très proche de l’engagement de 19 Greek Street. Les objets devraient être plus que de simples produits de masse formatés. Il faut garder à l’esprit que les artisans sont l’essence de notre identité culturelle. Ils doivent regagner leur place dans notre monde et perpétuer notre connaissance.”

Malgré les buts nobles de son projet, Marc Peridis rit quand on lui demande de commenter la réaction de l’audience quand il propose “d’explorer les choix qui peuvent aider à forger un style de vie plus équitable et plus durable.” Selon lui l’enthousiasme pour ce genre de message n’est “pas vraiment le même que celui qui ressort lorsque l’on propose un open bar avec des meubles designs un peu partout.” Il se rappelle de la première fois qu’il a envoyé une invitation à des “évènements inspirants” et “perdu environ 400 abonnés à la newsletter l’espace de quelques heures.” Imperturbable, il met les bouchées doubles à chaque nouveau projet. “Je ne peux pas mentir : 19 Greek Street a été pour moi un combat financier depuis le début, de par sa nature même. La durabilité et l’éthique sont des domaines complexes pour lesquels personne n’a de temps ou d’argent. Quitte à se battre, autant le faire à 100% et croire en mes valeurs. Je ne vois pas l’intérêt de faire les choses autrement. Je n’ai pas envie de travailler pour entreprise comme Cassina juste pour me faire beaucoup plus d’argent.”

Marc Peridis ne se laisse jamais abattre, et nous laisse sur ces mots “en tant que consommateurs, nous nous devons de consommer moins, mais mieux. En tant que designers, nous devons faire moins, mais mieux. Nous devons défier le modèle Ikea en soutenant les petits designers éthiques, afin que leurs produits se fassent connaître et bénéficient des économies d’échelle. Les gens commencent à se réveiller, mais on a encore un long chemin à parcourir. Nous devons absolument nous concentrer sur ce qui est important dans la vie, et ce qui a du sens pour nous. Et l’honorer.”

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    • Wava Carpenter

      Wava Carpenter

      Après avoir étudié l'Histoire du Design, Wava a porté plusieurs chapeaux pour soutenir la culture du design: professeur d'études du design, organisatrice d'expositions, organisatrice de débats, rédactrice d'articles. Tout cela a façonné son travail en tant que Editrice en Chef chez Pamono.